L’entrée en vigueur de la directive CSRD place la durabilité en tête des enjeux de gouvernance des entreprises dès le 1 janvier 2025. Dans ce contexte, les administrateurs indépendants, dont le rôle est appelé à croître, notamment dans ce domaine, doivent se former aux enjeux ESG.
Dernière ligne droite pour les PME-ETI avant l’entrée en vigueur de la CSRD. Cette directive européenne votée en 2022 impose aux entreprises de publier les informations qui concernent la durabilité de leur activité. Les grandes entreprises devront s’y plier dès le 1er janvier prochain au titre de l’exercice 2024. Dans leur sillage, les ETI seront concernées à compter du 1er janvier 2026, et les PME dès le 1er janvier 2027. « Tout s’accélère pour les PME-ETI à l’approche de l’échéance, elles ont donc besoin d’évaluer où en est leur gouvernance, explique Nathalie Kestener, fondatrice du cabinet Kercus et administratrice indépendante certifiée. Mon cabinet réalise de plus en plus d’évaluations de gouvernance (désormais une dizaine par an), une dynamique constante depuis la création de ma structure en 2019. » Certes, ces évaluations représentent une étape normale dans la vie des PME-ETI car le Code de gouvernance Afep-Medef (voir encadré) recommande d’en réaliser une tous les trois ans avec un prestataire externe et indépendant.
Au sein du cabinet Kercus, un dossier d’évaluation de gouvernance se traite en deux mois. L’opération met notamment en valeur l’importance du rôle de l’administrateur indépendant. « Dans nos évaluations de gouvernance, nous recommandons généralement aux entreprises d’accueillir un nouvel administrateur indépendant au sein de leur conseil d’administration, confirme Nathalie Kestener. Cette personne apportera les compétences précises dont l’entreprise a besoin afin de transformer sa stratégie pour répondre aux nouveaux enjeux de durabilité. » L’arrivée de la CSRD consolide ainsi le rôle des administrateurs indépendants. « Cette directive renforce les obligations réglementaires des entreprises sur le volet ESG à plusieurs niveaux : conformité, reporting ou encore cartographie des risques qui ne se limite plus aux seuls risques financiers et opérationnels, mais concerne aussi la stratégie de moyen et de long terme », souligne Laurent Degabriel, directeur général de l’Institut français des administrateurs (IFA).
«L’APIA assure une formation continue à tous nos membres afin de les professionnaliser dans leurs mandats d’administrateurs indépendants.»
Former les administrateurs indépendants sur les enjeux ESG
De quoi accentuer la nécessité pour les administrateurs indépendants de se former sur les enjeux de durabilité. « L’arrivée de la CSRD augmente le besoin de formation des administrateurs indépendants, qui doivent en priorité répondre à des objectifs réglementaires de mise en conformité, relève Laurent Degabriel. Mais cet impératif de court terme ne doit pas leur faire oublier la durabilité qui se pense à moyen-long terme. » En effet, la durabilité comme enjeu de gouvernance nécessite adaptation et réflexion et se pense sur le temps long. « L’entreprise doit intégrer une vision durable dans son offre de service et dans son modèle d’affaires afin de publier son reporting extra-financier, abonde Nathalie Kestener. C’est une question de maturité de la gouvernance, avec pour objectif de consolider la performance et ses résultats. Ainsi, un bon administrateur indépendant doit se former tout au long de ses mandats, c’est justement l’une des missions d’APIA, afin d’apporter de la valeur dans le conseil d’administration (ou conseil de gouvernance pour une SAS) dans lequel il siège. » Reste à choisir la formation adéquate.
Si les formations certifiantes abondent sur le marché, les réseaux de dirigeants comme l’APIA avec ses 350 membres (PME-ETI principalement) ou encore et l’IFA avec ses 3 700 adhérents favorisent la formation entre pairs, les échanges de bonnes pratiques et les rencontres entre professionnels de différents secteurs d’activité. « L’APIA est une association très engagée sur la gouvernance créatrice de valeur, affirme Marie Cornière, directrice générale de Copy-Top et administratrice indépendante dans une ETI familiale française. Nous assurons une formation continue à tous nos membres afin de les professionnaliser dans leurs mandats d’administrateur indépendant et de nous assurer qu’ils disposent du bon niveau de compétences. » L’APIA met ainsi à disposition de ses membres administrateurs indépendants 34 guides de formation thématiques appelés les « cahiers APIA », et les dirigeants peuvent se référer aux guides de gouvernance publiés par l’association. Cette dernière s’appuie sur son réseau en région pour accompagner un large éventail de PME-ETI.
«Les questions ESG sont devenues inhérentes au rôle et à la fonction d’administrateur indépendant.»
Respecter le devoir de diligence de l’administrateur indépendant
Plus orienté vers les grands groupes, l’IFA dispose de son côté de 11 clubs et commissions consacrés à la question de la gouvernance. Et en novembre 2023, le club ESG de l’association publiait son rapport Durabilité : les nouveaux engagements du conseil à destination des membres des conseils d’administration des entreprises soumises à la CSRD. « Nous délivrons aussi un certificat d’administrateur indépendant en partenariat avec Sciences Po Paris, précise Laurent Degabriel. C’est une formation d’une durée de 13 jours répartis sur six mois. Dès 2025, nous allons restructurer le programme de cette formation avec un module spécialisé pour que les questions ESG puissent être intégrées à tous les niveaux, parce qu’elles sont devenues inhérentes au rôle et à la fonction d’administrateur. » La demande de formation des administrateurs indépendants relève en effet à la fois d’obligations réglementaires (portée par la CSRD) et d’une nécessité stratégique de transformation de l’entreprise. En ce sens, la formation de l’administrateur indépendant s’inscrit dans le respect de son devoir de diligence, soit sa capacité à prendre des décisions éclairées dans l’intérêt de l’entreprise.
Il s’agit d’une obligation fiduciaire de l’administrateur indépendant, soit une obligation d’agir dans l’intérêt supérieur d’une autre partie. Elle se retrouve dans le Code Afep-Medef, qui stipule notamment que l’administrateur « doit agir en toute circonstance dans l’intérêt social de l’entreprise » (article 21, La déontologie de l’administrateur) à laquelle il apporte ses compétences professionnelles. « Je suis administratrice indépendante au sein du conseil d’administration d’une ETI familiale française dans le secteur industriel, explique Marie Cornière. J’ai été nommée à ce poste grâce à mon expérience de direction et à la diversité de mes compétences. Chez Copy-Top, j’ai occupé la fonction de directrice des affaires financières (DAF) et des ressources humaines pendant 16 ans, avant d’être nommée directrice générale il y a 7 ans. C’est ce spectre large de connaissances qui constitue la plus-value que j’apporte au conseil d’administration en tant qu’administratrice indépendante, avec une vision à la fois stratégique et opérationnelle. »
Renforcer le rôle de l’administrateur indépendant, face aux nombreuses oppositions
Ces capacités propres à l’administrateur indépendant devraient renforcer son poids au sein des conseils d’administration. « L’administrateur indépendant y occupe une place particulière au sein de l’entreprise, puisqu’il n’est ni consultant ni salarié, relève Marie Cornière. Il exerce un mandat dont la durée est définie dans les statuts de l’entreprise, en échange d’une rémunération en jetons de présence. » Afin de préserver son indépendance, la durée du mandat doit rester inférieure à 12 ans. Cette indépendance garantit aussi l’efficacité de son action, même si elle comporte d’autres défis en termes de légitimité au sein des conseils d’administration. « Un administrateur indépendant cherche exclusivement ce qui peut profiter à l’entreprise sur le long terme mais c’est un acteur qui rencontre encore beaucoup d’opposition, bien qu’il soit sélectionné sur des compétences réelles, dans une posture différente du dirigeant executif, pointe Nathalie Kestener. Certains fonds d’investissement peuvent s’opposer à leur présence, les dirigeants peuvent s’interroger sur leur rentabilité et les autres actionnaires remettent parfois en cause les compétences et donc la valeur ajoutée de l’administrateur indépendant. » Tous ces freins montrent qu’il y a encore des chantiers à mener pour renforcer la position des administrateurs indépendants.
Administrateur indépendant : un rôle défini par la soft law
Depuis 1995, le Code Afep-Medef regroupe les recommandations de l’Association française des entreprises privées (Afep) et du Mouvement des entreprises de France (Medef) après concertation avec les différents acteurs de la place, en matière de bonne gestion et de transparence. Ce document de référence en matière de gouvernance provient donc d’une initiative des entreprises qui reste juridiquement non contraignante (soft law) par opposition à la loi normative (hard law). Le rôle d’un administrateur indépendant au sein d’une PME-ETI relève ainsi essentiellement de dispositions de soft law. « Les codes de gouvernance, assimilables à de la soft law, contiennent l’essentiel des obligations de formation et de vigilance qui s’appliquent aux administrateurs indépendants », confirme Laurent Degabriel, directeur général de l’Institut français des administrateurs (IFA).