Salaires dans la finance : le retour de la modération

Publié le 10 janvier 2025 à 16h30

Anne del Pozo    Temps de lecture 8 minutes

Après plusieurs années de forte croissance des rémunérations, les salaires des métiers de la finance devraient voir leur progression très ralentie en 2025, sous l’effet d’un retour à l’équilibre entre les exigences des candidats et celles des entreprises.

Après une croissance artificielle du marché de l’emploi générée par l’effet post-Covid, les cabinets de recrutement observent globalement un retour à la normale, avec certes moins d’offres mais toujours des recrutements, notamment pour les postes en middle et top management. Dans son étude de rémunération 2025, Robert Walters constate ainsi un recul de 9 % des offres d’emploi des cadres en 2024. « Ce ralentissement s’explique notamment par la très bonne année 2023 sur le front de l’emploi, mais aussi par l’attentisme actuel des entreprises en termes de création ou de renouvellement de postes, au regard notamment des incertitudes économiques et politiques » , explique Aude Boudaud, director finance, tech & digital, real estate and manufacturing chez Robert Walters. Une tendance générale à laquelle n’échappent pas les métiers de la finance, mais dans une moindre mesure. Selon le cabinet de recrutement Michael Page, avec 224 500 offres d’emploi dans la finance publiées en 2024, les opportunités dans le secteur sont en effet en recul de 4 % par rapport à 2023. « Ces dernières années ont été marquées par un nombre de postes ouverts supérieur au vivier de candidats disponibles sur le marché ou en recherche d’emploi, précise Benjamin Lassalle, manager exécutif sénior divisions Finance et Audit/Conseil/Expertise de Michael Page. Pour séduire, attirer et convaincre les talents à changer de poste, de nombreuses entreprises ont joué sur le levier de la rémunération, provoquant une hausse des salaires. Aujourd’hui, alors qu’on assiste à une légère inversion du rapport de force entre l’offre et la demande, on constate un certain retour à l’équilibre sur le front des rémunérations. » 

«La stabilité des candidats dans leur emploi devient importante aux yeux des entreprises qui recrutent.»

Julia Schneider manager exécutif sénior ,  cabinet Hays

Une croissance des rémunérations ralentie

Au-delà d’une concurrence désormais un peu plus marquée entre les candidats au regard de la baisse des offres d’emploi, ce rééquilibrage au niveau de la rémunération est également porté par la volonté des entreprises de retourner vers plus de pragmatisme. « Le marché de l’emploi est actuellement plus complexe, précise Julia Schneider, manager exécutif sénior au sein du cabinet Hays. Les employeurs ont en effet souffert des exigences salariales des candidats de ces dernières années mais également de leur trop forte instabilité et autres “sauts de puce” entre différents postes. » D’autre part, les transactions de ces dernières années ont créé des tensions sur les grilles de salaires internes que les entreprises entendent désormais respecter pour ne pas créer d’inflation sur les salaires. « Si, en 2024, les prétentions salariales des candidats sont restées en hausse, elles n’étaient plus forcément acceptées par les entreprises qui souhaitent aujourd’hui aligner les rémunérations des nouveaux arrivants en fonction de leurs compétences mais aussi de leur grille salariale, précise Aude Boudaud. Principal corollaire de cette tendance, les augmentations de salaires lors de changements de postes perdent quelques points, passant de 15 à 20 % en 2024 à 13 à 15 % en 2025. »

Parallèlement, les entreprises sont également plus exigeantes sur les compétences qu’elles attendent de leurs candidats. « Face au projet de transformation digitale à mener au sein de la finance, notamment avec la facturation électronique ou la digitalisation des processus comptables, les entreprises sont aujourd’hui vigilantes sur les compétences IT des financiers qu’elles recrutent, précise Benjamin Lassalle. Elles cherchent également de plus en plus de DAF ayant des compétences élargies sur des sujets tels que la RSE et la CSRD ou encore des financiers, et en particulier des comptables, qui maîtrisent l’anglais. » Les cabinets d’expertises comptables et d’audit, pour leur part, sont actuellement en quête de candidats ayant des appétences commerciales pour développer de nouvelles missions. « Leur métier évoluant, ils ont besoin de profils capables de les accompagner dans le développement de leur activité et de leur cabinet », ajoute Julia Schneider. Les soft skills sont également et plus que jamais sur le devant de la scène. « La stabilité des candidats dans leur emploi devient importante, poursuit Julia Schneider. Aujourd’hui, un employeur ne rencontrera même plus un candidat qui aura fait trois saisons dans trois cabinets différents. » Les capacités de communication des candidats sont également scrutées à la loupe. « Les DAF ont de plus en plus un rôle de DGA, explique Benjamin Lassalle. A ce titre, ils doivent savoir communiquer avec le top management pour présenter les chiffres et les plans d’actions tout en s’adaptant aux problématiques rencontrées par les équipes opérationnelles. De même, les DAF évoluant dans des entreprises sous LBO doivent pour leur part savoir tenir la pression pour répondre aux exigences de résultats rapides. »

Des cadres plus prudents

Face à ce changement de paradigme, les cadres semblent globalement prendre conscience de la situation financière des entreprises et se montrent plus prudents quant aux perspectives d’évolution de leur salaire même quand ils restent en poste. 45 % des candidats interrogés dans le cadre de l’étude de rémunérations Robert Walters pensent ainsi obtenir une augmentation en 2025 (en recul de 3 % par rapport à 2024), allant de 1 à 3 % en moyenne selon 68 % d’entre eux (vs 61 % l’an dernier). De leur côté, moins d’une entreprise sur deux (49 %) pense accorder une augmentation à ses collaborateurs l’an prochain (vs 53 % l’an dernier). D’ailleurs, la rémunération n’apparaît plus comme étant la première raison à un changement de poste, aujourd’hui davantage motivée par leur envie d’évoluer dans leur carrière et de changer de management. Pour autant, une fois leur décision prise de changer de poste, ils attendent une réelle prime de risque pour la prise d’un nouveau poste et remettent la rémunération au cœur de la négociation. « Comme dans la finance, les candidats ont plus d’aversion aux risques que dans de nombreux autres métiers, ils sont d’autant plus frileux à changer de poste, et ce, même si le marché est pénurique, souligne Aude Boudaud. Alors que les augmentations de salaires sont de moindre importance, ils se demandent en effet si le jeu en vaut la chandelle et s’ils bénéficieront du même niveau de confiance de leur management, de la même flexibilité que dans le poste qu’ils occupent. »

Un nouveau rapport de force

Dans ce nouveau contexte, c’est un véritable jeu d’équilibriste qui s’instaure entre les entreprises et les candidats, d’autant que dans la finance, certains métiers demeurent très pénuriques. « C’est par exemple le cas des directeurs financiers des sociétés en private equity, précise Aude Boudaud. Depuis la période Covid, les cycles d’investissements dans les entreprises se sont allongés de 4 ans en moyenne à 5 à 7 ans. Les sociétés de private equity n’hésitent alors plus à changer de DAF pour faire coller leurs compétences à la phase dans laquelle se trouve le cycle d’investissement : phase M&A, de structuration puis de rationalisation des coûts, favorisant la dynamique du recrutement sur les profils de DAF. »  Les responsables M&A avec 3 à 5 ans d’expérience sont pour leur part très plébiscités actuellement au regard de leurs compétences techniques et de leur fort potentiel d’évolutivité au sein de la finance. Enfin, les contrôleurs de gestion corporate avec quelques années d’expérience sont également recherchés par les entreprises concernées par la réglementation CSRD. « Pour attirer ou garder ces profils, les entreprises lâchent un peu de lest sur leurs salaires, dont l’augmentation peut dépasser de 5 % celles constatées dans les métiers de la finance en général », poursuit Aude Boudaud. Plus globalement, des efforts restent encore à faire par chacune des parties pour trouver le juste équilibre entre les exigences des entreprises et les attentes des candidats, et ce, au-delà même du seul critère de rémunération. Il revient ainsi aux candidats de tenir compte des enjeux des entreprises, quitte à revoir parfois leurs exigences salariales à la baisse, et aux entreprises de ne pas chercher le mouton à cinq pattes et à soigner leur processus de recrutement et de on-boarding. Des actions peuvent également être mises en place pour fidéliser les collaborateurs ou recruter de nouveaux candidats, comme leur confier de nouvelles missions ou proposer des formations.

Le top 5 des profils les plus recherchés et les mieux rémunérés

Les profils les plus recherchés

  • Analyste financier
  • Comptable général
  • Gestionnaire de paie
  • Contrôleur de gestion
  • Comptable fournisseurs

Les profils les mieux rémunérés

  • Directeur comptable
  • Directeur administratif et financier
  • Responsable contrôle de gestion
  • Responsable trésorerie
  • Chef de projets finance

Source : Etude de rémunérations 2025, Finance & Comptabilité, Michael Page

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