Recrutement

Salariés boomerang : une tendance qui s’installe

Publié le 20 janvier 2023 à 11h15

Anne del Pozo    Temps de lecture 8 minutes

Après avoir quitté leur poste pour faire évoluer leur carrière professionnelle, de plus en plus de salariés réintègrent leur ancienne entreprise. Cette tendance, en vogue également dans la finance, se révèle souvent gagnante pour le collaborateur comme pour l’entreprise. A condition de respecter quelques règles pour assurer le succès de ce retour.

Si retourner chez son ancien employeur n’est pas un phénomène nouveau, le contexte de la crise sanitaire a contribué à l’essor de ce phénomène. Selon une étude conduite par Morning Consult pour UKG en 2022, la France compterait ainsi 13 % de salariés ayant réintégré leur entreprise, aujourd’hui appelés « salariés boomerang ». Des retours qui s’expliquent par différentes raisons, en tête desquelles figure notamment le regret du salarié pour son ancien poste.

L’étude UKG souligne ainsi que 60 % des démissionnaires en France ont réalisé après coup qu’ils se trouvaient mieux dans l’emploi qu’ils ont quitté. Un constat notamment fait par une consultante de Kearney, revenue au sein du cabinet de conseil en stratégie après avoir tenté une expérience dans un tout autre métier sur le continent africain. « Cette expérience lui a permis de se rendre compte de son intérêt pour le métier de consultante, témoigne Fanny Rigault, DRH de Kearney France. Ces dernières années, nous avons ainsi réintégré huit collaborateurs, sur une cinquantaine de recrutements annuels. » Ils sont également 63 % à considérer qu’ils ont pris leur décision de partir trop vite. « Nous constatons des volontés de retour de candidats ayant quitté leur poste suite aux confinements, pour déménager en province ou s’essayer à une reconversion professionnelle », note Aude Boudaud, directrice associée finance et IT, chez Robert Walters.

Une réponse à la pénurie de candidats

Au-delà de la volonté des candidats, la tendance est également portée par la pénurie de certains talents sur le marché de l’emploi, notamment dans la finance. « La transformation rapide et les changements de modèles économiques liés à la digitalisation amènent les entreprises à s’intéresser à d’anciens collaborateurs qui connaissent la culture et l’ancien modèle grâce à leur première expérience et qui ont par ailleurs acquis de nouvelles compétences en externe, particulièrement pertinentes pour s’approprier les changements, précise Mikaël Deiller, directeur exécutif Michael Page. Les entreprises ont en effet besoin de personnes rapidement opérationnelles et qui connaissent l’environnement de leur ancienne activité, son écosystème ainsi que son modèle économique. Or, les salariés boomerang maîtrisent généralement les codes de l’entreprise. »

«Nous sommes convaincus que les salariés boomerang reviennent avec de nouvelles compétences dont l’entreprise bénéficiera. »

Fanny Rigault Directrice des ressources humaines ,  Kearney France

Les entreprises entretiennent le réseau des alumni

  • Le signe que les entreprises sont davantage ouvertes à la démarche du re-onboarding, c’est qu’elles s’attachent de plus en plus à développer et animer leur réseau d’anciens collaborateurs. « Depuis environ un an et demi, nous constatons que les DRH travaillent de plus en plus sur l’animation de leur réseau d’alumni, note Aude Boudaud, directrice associée finance et IT chez Robert Walters. C’est notamment le cas pour les entreprises évoluant sur des secteurs de niche, dans les sociétés de conseil, ou encore dans la finance… » 
  • Un ancien collaborateur de Kearney, aujourd’hui senior partner, explique ainsi être revenu par le biais du réseau d’alumni de la société de conseil. « Je m’entendais particulièrement bien avec les autres partners de l’entreprise avec lesquels je suis resté en contact, et j’ai toujours été en phase avec la culture Kearney », précise-t-il. Ainsi pour maintenir le lien avec ses anciens collaborateurs, Kearney organise des soirées événements avec eux et diffuse régulièrement une newsletter qui leur est dédiée. « Cela nous permet notamment de communiquer, de manière plus informelle, sur les postes à pourvoir au sein du cabinet de conseil », précise Fanny Rigault. 
  • La DRH est d’ailleurs novatrice sur ce sujet. Auparavant membre de l’équipe RH des laboratoires Roche, elle y avait créé le groupe LinkedIn « Roche France Alumni. » Il a pour vocation aujourd’hui encore de favoriser les échanges entre anciens collègues, de permettre à ceux qui sont partis de rester connectés avec Roche France mais également d’être en veille sur les nouvelles opportunités de carrière au sein du groupe pharmaceutique.

Une évolution de la culture RH dans les entreprises

Si cette démarche est aujourd’hui acceptée, c’est également en raison de l’évolution de la culture RH, notamment depuis la pandémie. « Il y a encore peu de temps, nos clients ne souhaitaient pas que nous leur présentions d’anciens collaborateurs, poursuit Aude Boudaud. Aujourd’hui, seules quelques entreprises persistent à nous imposer cette contrainte. » Cette évolution des mentalités sur le sujet est également en lien avec le développement de la marque employeur des entreprises. « Les enjeux liés à la fidélisation des collaborateurs mais aussi au développement de la marque employeur favorisent la réintégration des anciens salariés, constate Fanny Rigault. Une acceptabilité également portée par la conviction que ces salariés reviennent avec de nouvelles compétences dont l’entreprise bénéficiera. » La DRH, convaincue des vertus de ce modèle, préfère d’ailleurs employer le concept de « leave, learn, and come back » plutôt que de « salariés boomerang ». « C’est ainsi grâce aux compétences qu’elle avait acquises à l’extérieur que nous avons pu réintégrer une ancienne contrôleuse de gestion senior au sein d’une société de biotechnologies, témoigne Mikaël Deiller. Son passage dans une autre entreprise lui permettait de répondre au profil du poste proposé par son ancien employeur, qui exigeait 8 à 10 ans d’expérience dans la fonction finance. Les évolutions de l’entreprise répondaient également aux nouvelles aspirations de la candidate. » Une expérience également recherchée par Mazars, groupe international spécialisé dans l’audit, la fiscalité et le conseil, lorsqu’il a proposé sa réintégration à Lydia Bouzerar. « Après cinq années passées en qualité d’auditrice au sein du cabinet de conseils, j’ai eu envie de voir ce qui se passait du côté corporate et j’ai accepté un poste de consolideur chez un opérateur en télécommunication, témoigne-t-elle. Un passage qui m’a permis de bien comprendre les enjeux financiers, structurels et humains des entreprises qui ne sont pas toujours les mêmes que ceux des cabinets. Cette expertise supplémentaire a été un élément clé de mon “re-onboarding” chez Mazars deux ans plus tard, cette fois en tant que senior manager capital market advisory. Dans le cadre d’un nouveau projet intrapreneurial, le groupe cherchait en effet un candidat avec une double casquette, en conseil et en finance d’entreprise. Quand la DRH m’a proposé le poste, je n’ai pas hésité, d’autant que j’avais quitté le cabinet en très bons termes et que je souhaitais alors m’orienter vers la communication financière. »

Favoriser le retour des anciens collaborateurs et leur re-onboarding suppose néanmoins qu’ils aient soigné leur départ. « A cet effet, il peut être intéressant, lorsque cela est possible, que l’employeur qui réembauche un candidat ait accès à un dossier de départ suffisamment détaillé », précise Aude Boudaud. Ce dossier intègre généralement les modalités (démission, rupture conventionnelle, fin de CDD, etc.), conditions et raisons du départ (évolution bloquée, changement de management, rémunération, déménagement…) évoquées lors de l’« exit interview ». « Cette démarche donne le niveau d’alignement du candidat avec la culture de l’entreprise, et représente l’une des clés essentielles à sa bonne réintégration » ajoute Aude Boudaud.

«Nous constatons des volontés de retour de candidats ayant quitté leur poste suite aux confinements, et nos entreprises clientes acceptent pour la plupart que nous leur présentions d’anciens collaborateurs. »

Aude Boudaud Directrice associée finance et IT ,  Robert Walters

Un retour à organiser

Il convient également de ne pas négliger le re-onboarding au prétexte que le collaborateur connaît déjà l’entreprise. Si les anciens collaborateurs sont au fait de la culture de l’entreprise, un certain nombre de choses peuvent avoir évolué en leur absence, comme par exemple les outils utilisés. Il faut donc adapter et travailler la qualité du schéma de réintégration pour tenir compte de ces évolutions. « Durant la phase de réintégration, l’investissement doit être mutuel, souligne Lydia Bouzerar. En deux ans, l’entreprise a évolué et il me revenait de voir comment et de m’y adapter. C’est la raison pour laquelle tous les entretiens, même informels, que nous avons durant la phase re-onboarding sont importants. » De même, il ne faut pas exclure le « rapport d’étonnement » de la démarche, c’est à dire une phase d’observation et de rencontres avec les équipes et managers pendant la période d’intégration, à l’issue de laquelle le candidat fait son rapport sur ce qu’il juge favorable ou ce qui pourrait être amélioré. « Cette démarche est d’autant plus intéressante à mener avec le salarié boomerang qu’il a un regard différent sur l’entreprise », précise Aude Boudaud. Enfin, il est important de préparer les équipes au retour d’un ancien salarié, et d’en expliquer les raisons. Une occasion d’ailleurs pour les ressources humaines de valoriser son attachement à l’entreprise et donc, la marque employeur.

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