Le parcours des responsables financiers ne se limite pas systématiquement à cette discipline maîtresse et ne suit pas toujours une courbe ascendante. Certains ont connu ou ont fait le choix de connaître, à un moment de leur carrière, une expérience hors des sentiers balisés. Cette parenthèse leur a permis d’enrichir leur parcours, ou de faire évoluer, éventuellement, leur manière d’aborder leur métier.
Tout tracé, le parcours des cadres et responsables financiers ? «Loin de là !», estime Pascal Bouchiat. Chimiste de formation, l’actuel directeur général Finance et Systèmes d’information de Thales est bien placé pour le savoir, lui qui, durant les dix premières années de sa carrière, a occupé successivement les postes d’ingénieur en recherche et développement puis de responsable de production chez Rhône-Poulenc. «Cette expérience liminaire m’a permis de mieux comprendre la logique industrielle globale du groupe, de la fabrication à la sécurité, en passant par la qualité ou la logistique, de connaître les problématiques des opérationnels et d’acquérir des compétences en encadrement d’équipe, indique-t-il. Elle s’est avérée très bénéfique lorsque, ayant rejoint la direction financière, j’ai dû travailler à l’amélioration des leviers de performance de l’entreprise.» Même constat pour Bruno Labrosse, actuel directeur du développement stratégique et responsable M&A de SEB. «Mes études d’ingénieur en robotique me sont très utiles dans mes fonctions actuelles, par exemple lors de l’analyse des process industriels des cibles, une étape indispensable des opérations de croissance externe», témoigne-t-il.
Quoiqu’encore peu courante aujourd’hui, l’accession de profils originellement non financiers à des responsabilités financières tend à se développer. C’est notamment le cas, dans l’industrie, des ingénieurs en début de carrière, susceptibles d’intégrer le contrôle de gestion des entreprises comme cadres opérationnels. «Cette population y est non seulement appréciée pour son esprit analytique et structuré, mais aussi sa capacité à prendre de la hauteur par rapport aux problématiques techniques», indique Alexandra Proniewski, manager chez Fed Finance Executive. De même, à l’heure de la digitalisation, les diplômés issus des spécialités informatiques séduisent de plus en plus les directions financières. «Celles-ci confient généralement à ces jeunes professionnels des missions de contrôle, d’implémentation ou de rationalisation des coûts des systèmes d’informations», précise Stefen Simon, senior manager Finance et Comptabilité chez Hays.
Parenthèse de carrière
De telles bifurcations peuvent également se produire après un premier temps de carrière dans la finance. Ainsi, durant dix ans, Florence Saliba a exercé des fonctions financières qualifiées par elle-même «d’expertise» au sein de Danone, jusqu’à occuper le poste de responsable de la salle des marchés du groupe. «Parvenue à ce stade, mon métier consistait à démontrer et à analyser méthodiquement, rarement à rechercher le consensus par des discussions approfondies, se remémore-t-elle. J’ai eu envie de me confronter aux seules sciences qui ne soient pas affaire d’exactitude : les sciences humaines.»Elle intègre donc les RH du groupe industriel, où elle s’occupe notamment de la gestion de carrière et du recrutement de l’entité Systèmes d’information, du centre de compétence et de la direction monde des rémunérations et avantages sociaux.«J’ai refermé la parenthèse au moment de ma nomination à la tête de la trésorerie du groupe, non sans avoir acquis entre-temps des compétences managériales et juridiques nouvelles, ainsi qu’une meilleure compréhension des enjeux opérationnels inhérents aux différents départements de l’entreprise.»
S’il n’est plus aussi rare qu’avant de voir des financiers réaliser temporairement le grand écart au sein même de leur entreprise, de tels exercices se rencontrent presque exclusivement dans les grands groupes. «La mobilité interne y est plus naturelle que dans les PME ou ETI, pour deux raisons. D’abord, les passerelles entre départements y sont plus nombreuses du fait de la surface d’activité des structures ; ensuite, les équipes y sont constituées davantage en mode projet, ce qui contribue à diversifier les périmètres opérationnels des postes», analyse Alexandra Proniewski.
Changement d’échelle
Forts d’une expérience financière acquise de longue haleine, certains responsables financiers font le pari audacieux de l’entrepreneuriat ou du changement d’échelle vers une structure de croissance. A un moment où, logiquement, ceux-ci devrait évoluer vers des postes à plus hautes responsabilités dans des structures plus imposantes. Après plusieurs années passées en cabinet puis à la direction financière de Ullink, Mong-Trang Nguyen est devenue CFO de Doctolib, plateforme de réservation de consultations médicales en ligne. Consultant pour le Boston Consulting Group puis directeur financier d’Amazon France durant cinq ans, Olivier Vaury a quitté pour sa part en 2014 la filiale française du géant américain de l’e-commerce pour fonder Partoo, une start-up spécialisée dans la maximisation de la visibilité des entreprises sur Internet. Dans le même temps, l’ancien cadre d’Amazon a créé et pris la tête de la direction financière de ManoMano, place de marché présente dans la distribution d’outils de jardinage, et a accompagné cette-dernière dans une levée de 60 millions d’euros menée auprès de différents acteurs du private equity.«Avoir évolué dans un cabinet puis dans une grande entité me permet d’aborder avec plus de discernement les problématiques de financement auxquelles nous sommes confrontés et donne plus de crédibilité à mes argumentaires lors des tours de table investisseurs», indique-t-il. Un atout précieux pour une jeune structure cherchant à faire la démonstration de sa capacité à trouver son modèle et à honorer ses engagements.
Les directeurs financiers s’essaient au recrutement
Plus fréquentes que les parenthèses de mobilité interne, les césures effectuées par les responsables financiers en dehors de leur entreprise ont tendance à se multiplier depuis quelques années. Si celles-ci sont réalisées essentiellement dans des structures de conseil ou d’audit, un autre phénomène tend à se développer. «Un nombre certes encore faible mais croissant d’opérationnels et cadres de la finance corporate rejoignent désormais pour un temps des cabinets de recrutement, une manière pour eux de faire usage de leur expertise dans un contexte enrichi de missions liées au développement d’affaires et à la gestion de carrière auxquelles ils sont en général peu habitués», indique Stefen Simon. Pour les acteurs du recrutement, ces professionnels représentent une manne précieuse, car ils sont rompus à des problématiques très techniques et souvent transverses difficiles à appréhender pour des personnes n’ayant pas évolué dans ces fonctions.