Le contentieux de l’abus de droit n’est pas statistiquement considérable, mais la crainte de son déclenchement n’en est pas moins omniprésente dans la pratique. D’où l’utilité d’un bilan annuel des enseignements à retirer de la jurisprudence et des avis du Comité de l’abus de droit fiscal.
Par Daniel Gutmann, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
Qu’est-ce que l’abus de droit ? On ne le sait plus trop. C’est sans doute le premier constat qui ressort de l’observation de la jurisprudence et des avis successifs rendus par le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF). Constat à méditer, à l’heure où le législateur entend, au mépris des principes fondamentaux de la matière pénale, renforcer encore le flou du concept. Nous verrons, à l’heure où cet article sera publié, si le Conseil constitutionnel s’est laissé... abuser.
La jurisprudence récente du Conseil d’État démontre en tout cas qu’il n’est nul besoin d’une réforme législative pour voir évoluer le concept. En témoigne une décision du 17 juillet 20131 par laquelle le Conseil d’État a estimé que constituait un abus de droit le fait pour une société cessionnaire de faire remonter sous forme de dividendes exonérés, en application du régime mère-fille, le produit de la cession, par la société rachetée, de la vente de ses actifs suite à la cessation de son activité, au motif que ces opérations contreviennent aux objectifs du législateur et poursuivent un but exclusivement fiscal.
On retiendra surtout de cette décision la transition subreptice qui s’opère d’ores et déjà du but exclusivement fiscal vers le but «principalement fiscal» qu’appellent de leurs vœux les parlementaires. Pour casser l’arrêt d’appel qui avait écarté l’abus de droit en relevant que l’existence d’un gain de trésorerie démontrait le caractère non exclusivement fiscal du but poursuivi, le Conseil énonce en effet que «ce gain de trésorerie était négligeable et sans commune mesure avec l’avantage fiscal retiré de ces opérations».