Le 25 mai 2022, la Cour de cassation a rendu deux décisions relatives à l’application de l’article 1843-4 du Code civil, dont on sait qu’il concerne la désignation d’un expert, choisi par accord des parties ou sur décision du juge, chargé de procéder à la détermination de la valeur des parts sociales ou des actions d’une société. Dans les deux cas, la question était relative à un recours formé contre la décision d’un président de tribunal, qui avait soit refusé, soit accepté de désigner un expert.
« Encore l’article 1843-4 », soupireront les acteurs des fusions-acquisitions. Cette disposition donne lieu, il est vrai, à un contentieux nourri, qui s’explique tant par les difficultés techniques que suscite le texte que par l’importance des litiges qu’il concerne. Les deux arrêts du 25 mai ne sont cependant pas de simples briques supplémentaires dans un édifice jurisprudentiel complexe, mais font évoluer le système.
1. Revirement
L’arrêt le plus important opère un revirement de jurisprudence1. L’article 1843-4 indique que la décision prise par le juge est « sans recours possible », ce qui jusqu’à présent était lu par les juges comme valant pour toutes les décisions, celles acceptant de désigner un expert comme celles le refusant. La seule voie de recours que la jurisprudence laissait au justiciable supposait d’établir un excès de pouvoir commis par le président du tribunal. Cette exception à l’absence de recours, non fondée sur un texte, implique concrètement de constater que le juge a méconnu l’étendue de son pouvoir de juger2.
Le revirement opéré consiste à remettre en cause la règle d’exclusion de tout recours dans l’hypothèse d’un refus de désignation d’un expert. Il est relevé que la règle n’est pas imposée par la lettre de l’article 1843-4, et aussi qu’il apparaît nécessaire de reconnaître aux parties le droit de relever appel de la décision de refus, afin de ne pas les placer face à une situation de blocage. Est également remise en cause la solution prétorienne appliquée jusqu’à maintenant, selon laquelle en cas d’annulation d’une décision de première instance refusant de désigner un expert, la cour d’appel ne pouvait désigner elle-même cet expert.