Il est certaines décisions du Conseil d’Etat dont la solution est largement motivée par les circonstances de fait mais dont la portée pratique pourrait se révéler bien plus importante, ce qui n’est pas sans susciter quelques inquiétudes. Tel risque d’être le cas de l’arrêt rendu le 7 avril dernier (« Société Crédit Agricole »), en ce qu’il vient juger qu’un écart de 14,1 % entre le prix convenu pour la cession d’actions et leur valeur vénale doit, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, être considéré comme significatif.
1. Le « rempart » de 20 % pour justifier d’un écart significatif et le rappel des faits
Dans un arrêt Thérond du 28 février 2001, le Conseil d’Etat avait jugé que pour apporter la preuve d’un acte anormal de gestion procédant de l’acquisition d’un bien par une société pour un prix anormalement élevé ou de la vente pour un prix anormalement bas, l’administration devait établir l’existence d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et celui d’une intention pour la société d’octroyer et pour le cocontractant de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession. Dans ses conclusions sous des arrêts du 3 juillet 2009 (Hérail et Pouzilhac), le rapporteur public, Laurent Olleon, avait considéré qu’un écart inférieur à 20 % entre le prix de la transaction et la valeur vénale réelle estimée n’est pas significatif. Depuis lors, le Conseil d’Etat comme les cours administratives d’appel en ont fait implicitement application dans plusieurs décisions (CE 31 mars 2010, Petit, CE plén. 9 mai 2018, Sté Cerès). Ce critère de l’écart significatif a d’ailleurs pris une dimension encore plus grande depuis l’abandon de l’élément intentionnel de l’acte anormal de gestion solennellement posé par le Conseil d’Etat dans sa décision Sté Croé Suisse (21 décembre 2018) en cas de cession à un prix minoré.
Les faits à l’origine de l’arrêt sont simples : suite au rapprochement opéré en 2004 entre le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais, il est apparu que plusieurs sociétés du groupe ainsi constitué exerçaient leur activité sur les mêmes segments...