La loi Pacte (L. n° 2019-486 du 22 mai 2019) a suscité beaucoup de débats lorsqu’elle a «élargi l’intérêt social des entreprises», pour reprendre une formule souvent entendue. Pour les juristes, il s’est agi de modifier l’art. 1833 du Code civil, texte qui disposait jusqu’alors que «toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés», et qui s’est trouvé complété par un nouvel alinéa selon lequel «la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité».
Par Bruno Dondero, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Cette ouverture de l’intérêt social a fait craindre que l’on puisse contester à tout bout de champ les décisions des dirigeants, au motif qu’elles ne prendraient pas assez en considération tel ou tel aspect social ou environnemental de l’activité de la société. Pour désamorcer ces craintes, il a été procédé à des ajouts au sein de l’art. 1844-10 du Code civil, texte relatif aux nullités. Un amendement parlementaire n° 1479, présenté lors de la première lecture de Pacte à l’Assemblée nationale a voulu ainsi «circonscrire l’effet de la reconnaissance de l’intérêt social dans la loi sur la vie de la société, et notamment son exposition contentieuse». A cette fin, il est indiqué dans le dernier alinéa de l’art. 1844-10 que le dernier alinéa de l’art. 1833 est expressément écarté des causes possibles de nullité d’un acte ou d’une délibération des organes de la société.
Ce faisant, n’a-t-on pas privé le juge de la possibilité de sanctionner par la nullité l’abus du droit de vote que réaliseraient les associés majoritaires d’une société ?
La nouvelle rédaction de l’art. 1844-10 conduit en effet à exclure l’application d’une sanction de nullité à des actes et délibérations sociétaires au motif de leur contrariété à l’intérêt social, qu’il s’agisse de l’intérêt social «élargi» ou non. Or, l’abus du droit de vote consiste, pour les majoritaires, à faire prendre à la société une décision qui tout à la fois (1) les avantage par rapport aux minoritaires et qui (2) est contraire à l’intérêt social (v. par exemple, dans la jurisprudence récente, Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-21.825, Gaz. Pal. 18 déc. 2018, p. 63, obs. A. Benoit et I. Prodhomme). La Cour de cassation rappelle régulièrement ces deux conditions, avec quelques nuances parfois, mais sans remettre en cause la possibilité d’annuler les décisions abusives.