La Loi Pacte sera plus que probablement votée en son état actuel s’agissant des quelques points issus du rapport Notat-Sénart, commandité par le gouvernement. On sait que l’inclusion, à l’article 1833 du Code civil du rappel de l’obligation de gérer une société (commerciale ou civile) dans l’«intérêt social», à laquelle s’est ajoutée celle de «prendre en considération» les enjeux sociaux et environnementaux de son activité, ont fait couler beaucoup d’encre – et de salive. Non pas tant chez les juristes que chez les chefs d’entreprise et autres commentateurs de la vie économique, pourtant rarement actifs sur le front des combats réputés techniques du droit des sociétés.
Par Philippe Portier, avocat associé, Jeantet
1. Une réforme aux incidences floues
Paradoxalement, l’essentiel des arguments portait sur l’inutilité de ce texte : l’intérêt social est déjà une valeur reconnue de notre droit positif ; la prise en compte des externalités sociales ou environnementales de l’activité économique, une réalité impulsée par la soft law, les exigences des investisseurs, voire le droit positif (droit du travail, devoir de vigilance, déclaration de performance non financière, etc.). Inutilité qui, confrontée à un impératif utilitariste (à quoi servirait la réforme, sinon ?), ne pouvait donc qu’ouvrir sur des aléas, des incertitudes, des risques. Ne donnait-on ainsi de nouveaux arguments aux activistes ? Et ce, sans pour autant définir les injonctions nouvellement promues : l’intérêt social reste une notion floue ; la raison d’être est-elle une nouvelle appellation ou une extension de l’objet social ? Autre chose ? Qu’est-ce que cela implique de «prendre en considération» quelque chose : se poser la question quelques instants, l’intégrer dans son action, expliquer en quoi on l’a fait ? Ou pas ?
Il est vrai que l’on cherchera dans cette réforme soft de l’ADN de nos sociétés, sans la trouver, la clarté conceptuelle. Non plus qu’une quelconque logique coercitive. Pour autant, peut-on y voir la naissance de nouvelles zones d’insécurité pour nos dirigeants de sociétés ? Sur un strict terrain juridique, cela ne sera pas le cas. Leur responsabilité demeure, en la matière, une affaire de gestion, et les fautes présumées ne pourront être poursuivies que dans le respect des règles actuelles : action judiciaire par la société elle-même ou, en son nom, par au moins 10 % des associés agissant «ut singuli». Au temps pour l’insécurité…