Après avoir libéralisé la technique du démembrement de propriété en validant le droit réel de jouissance spéciale, la Cour de cassation a encadré, par un arrêt du 28 janvier 2015, le régime temporel de ce nouvel outil patrimonial, ce qui n’a pas pour effet de le rendre moins attrayant. Toutefois,cette décision suscite bon nombre d’interrogations sur le respect des dispositions d’ordre public lors de la constitution d’un droit réel de jouissance spéciale.
Par Catherine Saint Geniest, associée, et Kevin Moya, juriste (pôle droit immobilier), JeantetAssociés
Tout d’abord, il convient d’envisager de quelle manière le propriétaire d’un bien peut consentir un droit réel de jouissance spéciale au vu des dernières avancées jurisprudentielles.
Si l’existence d’un numerus clausus des droits réels a suscité d’intenses débats en doctrine, la question ne se pose désormais. En effet, la Cour de cassation a admis au visa des articles 544 et 1134 du Code civil qu’un «propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien». Cet arrêt dit «Maison de poésie» consacre la liberté pour un propriétaire de créer des droits réels à sa guise ! Les droits réels légaux nommés (usufruit, droit d’usage et d’habitation, etc.) n’ont donc plus l’apanage de grever le droit de propriété. La force de cet arrêt réside dans la combinaison de deux principes fondateurs de notre droit, à savoir le droit de propriété et l’autonomie de la volonté.
1. Des montages contractuels inédits
Cette libéralisation de la technique du démembrement de propriété permet des montages contractuels inédits munissant ainsi le propriétaire de nouvelles prérogatives afin d’optimiser la valorisation de ses biens. La jouissance du bien pourra ainsi être consentie sur une partie d’un bien ou sur sa totalité, mais limitée dans l’espace ou dans le temps (exemple : la jouissance des pistes de ski pourra être attribuée en saison hivernale à une société d’exploitation et hors saison à un fermier pour le pâturage).
Faute de régime légal ou prétorien (sauf pour la durée du droit réel, cf. infra), il reviendra au rédacteur de l’acte constitutif de procéder à l’établissement d’un régime juridique ex nihilo, ce qui rend ce droit...