Sous la pression continue de l’OCDE, la France ne peut plus se dispenser de moderniser son dispositif de lutte contre la corruption. C’est l’objectif du projet de loi «Sapin II» relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique qui propose la mise en place d’outils nouveaux portant aussi bien sur la prévention que la répression de la corruption et du trafic d’influence auprès d’agents publics, qu’ils soient en France ou à l’étranger.
Par Charles-Henri Boeringer, avocat counsel, et Matthieu Juglar, avocat, Clifford Chance
1. Une prévention accrue de la corruption
En imposant de nouvelles obligations aux grandes sociétés assorties de mesures de contrôle, l’objectif du projet de loi est d’abord de prévenir la corruption.
Ces nouvelles obligations sont applicables aux sociétés ou groupes qui emploient plus de 500 salariés et réalisent un chiffre d’affaires consolidé annuel de plus de 100 millions d’euros, ainsi qu’à leurs dirigeants. Ces sociétés devront mettre en place diverses procédures internes et notamment :
– un code de conduite définissant les comportements à proscrire en leur sein ;
– un dispositif d’alerte interne permettant le signalement, par les employés, des contraventions au code de conduite ;
– des procédures de due diligence concernant les clients et fournisseurs ;
– des dispositifs de contrôle comptable destinés à s’assurer que les comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
– des obligations de formation du personnel le plus exposé au risque de corruption et de trafic d’influence ;
– des sanctions disciplinaires en cas de manquement aux règles internes.
Ces outils ne sont pas nouveaux pour nombre de grandes entreprises qui les ont déployés de façon plus ou moins effective depuis quelques années. Ils relevaient néanmoins du domaine de la soft law ce qui les maintenait dans un cadre d’autorégulation. La grande nouveauté réside dans leur caractère impératif (ce que ni le FCPA américain, ni le UK Bribery Act ne prévoient), sous contrôle d’une nouvelle agence nationale de prévention et de détection de la corruption.
Cette nouvelle entité, placée sous l’autorité conjointe des ministres de la Justice et des Finances, a vocation à remplacer le service central de prévention de la corruption qui avait été créé en 1993 et qui ne parvenait pas à trouver son rôle.
L’agence est munie de pouvoirs bien plus vastes et peut constater les manquements à l’obligation de prévention contre les risques de corruption du fait de l’absence ou de l’insuffisance du dispositif interne imposé par le projet de loi. Ses pouvoirs d’investigation sont, eux aussi, plus étendus puisqu’elle peut se faire communiquer toute information utile, sous réserve du secret de la défense ou de l’instruction, et procéder à toute vérification utile sur place, dont l’entrave est assortie de sanctions pénales. Elle devient également l’interlocuteur privilégié des lanceurs d’alertes et peut saisir le Parquet des faits dont elle a connaissance.