(AOF) - Le marché du stockage de l’hydrogène devrait atteindre près de 10 milliards d’euros d’ici 2030, dont 7 milliards uniquement alloués aux mobilités: c’est ce qu’affirme le cabinet Roland Berger dans une étude publiée ce mois-ci. Dans un entretien accordé à AOF en marge du salon Hydrolution, Matthieu Noël, Directeur au sein de la practice automobile de Roland Berger, détaille l’état du secteur de l’automobile à hydrogène en Europe, notamment par rapport à l’électrique.
Quelles sont les perspectives de développement de l'hydrogène dans le domaine de la mobilité ?
Nous envisageons à l'horizon 2030 une pénétration de 20 à 25% de cette technologie sur les autocars longue distance, de 5 à 10% sur les poids lourds, de 3 à 5% sur les medium, et de seulement 1% sur les véhicules de moins de 3,5 tonnes.
Pour les gros véhicules comme les cars longue distance, l'hydrogène est la seule énergie propre qui peut apporter le niveau d'autonomie et de puissance suffisant, contrairement aux batteries électriques. Nous sommes plus conservateurs sur les perspectives de développement de cette énergie dans les véhicules légers, les utilitaires de moins de 3,5 tonnes ou les véhicules privés.
Pourquoi ?
Sur ce segment la concurrence avec les batteries électriques est déjà perdue, d'un point de vue coûts comme du point de vue de la complexité technologique, et cet écart va se creuser davantage dans les prochaines années avec l'amélioration des batteries, notamment des batteries Solid State, qui offriront encore plus de densité énergétique.
Les constructeurs qui ont dans leur catalogue des SUV assez lourds nécessitant une autonomie importante pour des distances longues pourraient passer à l'hydrogène, mais pour les plus petits véhicules, à savoir les segments A à C, citadines à compactes, ça n'a pas de sens, les solutions batteries sont largement compétitives et vont continuer à se développer plus vite
Quels sont les projets déjà lancés par les constructeurs ?
Sur les segments D, E et SUV, des constructeurs comme BMW, Mercedes, Audi, Jaguar, Land Rover, Toyota, Stellantis, développent des prototypes.
Renault a créé une coentreprise avec Plug Power, spécialiste des solutions de recharge hydrogène et piles à combustible, pour développer des utilitaires propulsés à l'hydrogène. GM et Ford ont également des plans sur l'hydrogène en matière de pickups, pour des raisons d'autonomie, pour des camions poids moyens ou poids lourds. Volvo Trucks, Mercedes ou Iveco accélèrent fortement.
Hyundai et Toyota continueront à maintenir leur avance technologique, et travaillent assez fort sur l'hydrogène. De nouveaux entrants comme Nikola ou Tevva se spécialisent sur le développement de poids-lourds à hydrogène.
Quelle est la motivation des constructeurs pour investir dans cette technologie ?
Les constructeurs payent des pénalités sur le niveau des émissions de CO2 de leurs véhicules produits chaque année. Pour les camions de plus de 3,5 tonnes, ces niveaux d'émissions sont mesurés en fonction de la capacité de transport en tonne/km : plus un camion est conçu pour rouler sur de longues distances, plus l'industriel va subir des pénalités. De ce fait, les constructeurs commencent par décarboner en priorité les poids lourds (plus de 16 tonnes) la pondération dans les émissions totales de CO2 étant beaucoup plus forte.
Quels seront les défis des équipementiers ?
Le développement de la mobilité hydrogène va tirer un écosystème de la fourniture de technologies de stockage et de transformation de l'hydrogène en électricité : il y aura un besoin de réservoirs à hydrogène, à pression de 700 bars. Sachant que la substance est très inflammable, les conditions de sureté seront très strictes, pour le que le réservoir n'explose pas en cas d'accident, car la fuite de gros volumes d'hydrogène peut être très dangereuse. Cela représentera probablement le plus gros coût de la technologie hydrogène.
Nos fleurons nationaux Forvia et Plastic Omnium ont investi massivement sur le développement de ce type de réservoir, car ils possèdent le savoir-faire nécessaire pour les industrialiser avec le niveau de sécurité requis. Il y a cependant aussi des acteurs venant historiquement du monde du stockage de gaz qui prennent pied dans le secteur automobile en se positionnant sur ce type de réservoir.
Et la Chine ?
Les Chinois ne sont pas très actifs dans ce secteur. La Chine a moins parié sur l'hydrogène, son pari est beaucoup plus fort sur les technologies de batteries, car leur contrainte est de décarboner les véhicules légers. Ils n'ont pas encore vraiment attaqué le monde de la logistique et du transport. Les constructeurs chinois développent quelques pilotes de camions à hydrogène avec des solutions encore assez basiques, des réservoirs à pression plus basse, et commencent tout juste à explorer les réservoirs de stockage à 700 bars, avec un certain retard sur les Européens.
Quelle est votre vision d'ensemble sur la situation du marché en Europe ?
Même si le marché de l'hydrogène a été retardé, on a un peu l'impression que ça met du temps à décoller, que le marché est de plus en plus menacé par les solutions de batterie électriques, il reste un segment, une grosse niche, où les constructeurs et équipementiers ont des ambitions assez fortes. On n'a pas en Europe de réel leader dans la batterie, mais on peut dire que la position est plus dominante dans l'hydrogène.
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard