(AOF) - "Nous voulons faire évoluer les modes de rémunération des artistes". C’est ce qu’affirme Alexandre Saboundjian, CEO de Llama Group, qui opère la plateforme Winamp et qui a présenté ses résultats le 17 octobre Dans un entretien accordé à AOF, il envisage une transformation du paysage musical dans lequel les plateformes ne représenteraient qu’une partie des revenus des auteurs.
" Aujourd'hui, avec les services de streaming musical, les chanteurs ne reçoivent pas une juste rémunération ", a déclaré Emmanuel Macron au début du mois dans une interview pour le magazine américain “Variety”, dénonçant un système de rémunération des artistes “biaisé”. Qu'en est-il de votre point de vue ?
On ne peut qu'être d'accord avec les critiques du président Macron, alors que 99,1% des artistes présents sur les plateformes se jugent mal rémunérés. Mais j'apporterais une nuance car il ne faut pas penser que Spotify ou Dezzer, mal intentionnés, vivent sur le dos des artistes. Spotify, né en 2007, est parfois encore tous les trimestres en perte, et a aussi du mal à vivre. Si les premiers lésés sont les artistes qui apportent le contenu, les grands gagnants du système sont essentiellement les majors.
Seconde nuance, il y a deux types de plateforme de streaming , certaines en font un métier, d'autres en font un alibi, avec produit grand public, pour séduire d'autres types de clientèle, je veux parler des Gafam, Amazon, Apple et Google avec Youtube.
Les artistes sont-ils conscients des limites des plateformes ?
Oui, on assiste à une prise de conscience de leur part : le miracle qu'on leur a vendu ces dix dernières années, solution ultime aux revenus perdus avec le CD est à mettre définitivement dans la case mensonge. Le streaming est certes une partie de la solution, mais l'artiste doit aujourd'hui réfléchir à d'autres pistes de revenus. Aujourd'hui le numérique offre une véritable opportunité pour lui d'être plus indépendant, plus libre et d'avoir plus d'emprise sur son revenu.
Le rôle des majors aussi a évolué…
Les majors font des bénéfices plantureux par rapport à leur effort. Alors qu'historiquement ils se chargeaient de la production, de la distribution et de la fabrication, aujourd'hui leur rôle est beaucoup plus limité, il leur suffit de mettre en ligne un fichier et on pourrait presque dire que le tour est joué. Il n'est pas certain que cet équilibre-là puisse perdurer, car il y a un trop gros écart actuellement entre l'effort qu'ils fournissent et leurs revenus, d'où le mouvement qu'on observe chez les artistes les plus importants, qui ont compris que le monde change, et qui deviennent de plus en plus indépendants.
Les artistes doivent donc diversifier leurs sources de revenus…
Il n'y a pas de solution miracle, les plateformes ne doivent pas disparaitre, mais elles ne devraient représenter que 30 à 40% du revenu de l'artiste cela parait équitable, la question est de savoir où chercher les 60 % restants. Il faut essayer de créer une relation directe avec les fans, qui sont en fin de compte ses clients, il ne faut pas avoir peur de ces mots-là. D'ailleurs, l'éducation de la nouvelle génération va dans ce sens-là : les jeunes ont des abonnements directs avec des influenceurs, et c'est la même chose dans le monde du gaming, donc pourquoi pas aussi dans l' industrie musicale. Le fan pourrait recevoir du contenu spécifique, comme des " golden seats " dans les spectacles, ou des photos souvenir. On se demande pourquoi on devrait laisser à Facebook et Instagram le lien entre l'artiste et ses fans, pourquoi confier du contenu à une entreprise qui le monétise sans rien restituer en contrepartie.
Vous avez publié vos résultats semestriels le 17 octobre. Vous investissez surtout dans une nouvelle plateforme, Winamp Creator
Nous avons vendu en 2019 notre activité de diffusion de musique dans les points de vente, qui est une sorte de Spotify B2B, et en 2022 une autre activité digitale spécialisée dans l'insertion publicitaire en streaming audio. Il s'agissait de rémunérer les actionnaires, de rembourser la dette obligataire, mais surtout d'investir dans ce projet Winamp.
Ce sera une plateforme complète pour que les artistes puissent gérer leur carrière : elle est aujourd'hui en phase de lancement. Il s'agira d'une sorte de progiciel sectoriel comme ceux de SAP, qui gérera toute l'activité de l'artiste à part la création. Alors qu'actuellement un artiste indépendant doit faire appel à 5 ou 6 plateformes, nous essaieront de l'aider à tout gérer, des droits d'auteurs au licensing et à la distribution, ainsi que le marketing, avec un outil d'IA pour le conseiller.
Quelles seraient les perspectives de cette nouvelle offre ?
Notre ambition est de rendre service à des centaines de milliers d'artistes, à terme à un million d'artistes. Le deal est équitable avec les artistes actuellement, nous les faisons payer 50 euros par an ce qui est très raisonnable : il s'agira à terme de leur demander 15% de leurs revenus.
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard