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Essai cliniques: améliorer les délais pour préserver la pharma en France (H. Billery, AugustDebouzy)

Publié le 3 avril 2025 à 13h00

  AOF

(AOF) - L’Europe et particulièrement la France perdent du terrain depuis une décennie en matière d’essais cliniques, une situation dénoncée par les laboratoires pharmaceutiques et leur organisation européenne l’Efpia. La perte d’attractivité du continent en la matière a de graves conséquences sur la rentabilité des laboratoires pharmaceutiques. Hélène Billery et Étienne Mathey, avocats associés du cabinet AugustDebouzy, détaillent dans un entretien accordé à AOF les politiques à engager pour enrayer ce déclin.

AOF : Malgré une augmentation de 38 % des essais cliniques mondiaux au cours de la dernière décennie, la part de l'Espace économique européen (EEE) a diminué de moitié, selon une enquête publiée par l'Efpi, l'organisation européenne de l'industrie pharmaceutique, en octobre 2024. Cette part est passée de 22% en 2013 à 18% en 2018 et à 12% en 2023. Attribuez-vous ce déclin aux contraintes réglementaires ?

Hélène Billery : Pour le recul de l'écosystème de la recherche clinique en Europe, le facteur des contraintes règlementaires, qui a été signalé de nombreuses fois pour la France depuis le rapport Attali en 2008, n'est pas le seul point d'explication, un autre facteur clé est la difficulté de trouver des patients disponibles, qui induit un retard important rapport à d'autres régions du monde.

Il faut noter aussi les divergences entre les délais théoriques prévus par les textes et la réalité pratique de leur mise en oeuvre par les comités et les autorités officiels. Si le délai est en principe de 60 jours selon le règlement, avec décision implicite, le délai moyen en France est largement supérieur en raison des multiples difficultés rencontrées au sein des organismes chargés d'étudier les dossiers. On déplore le manque de moyens en personnel dont souffre notamment l'ANSM. Des dossiers parfois incomplets nécessitent également des demandes complémentaires et suscitent des retards. C'est le schéma classique du régime administratif français.

C'est donc sur ce front là qu'il faut concentrer ses efforts ?

Hélène Billery : Oui, il faut engager des efforts pour améliorer le traitement des délais. La France a été leader en Europe jusqu'en 2016 s'agissant des recherches des laboratoires pharmaceutiques, après quoi le déclin n'a fait que s'accentuer. On prend du retard sur l'innovation, on prend du retard en matière de biotechnologie, et en conséquence les talents s'en vont trouver des conditions un peu plus favorables pour faire de la recherche à l'étranger.

Quel pays pourrait être un exemple pour la France ?

Hélène Billery : L'Espagne est le meilleur État européen en la matière selon l'Efpia : ce pays possède un bon système de santé et parvient à tirer le meilleur parti de la règlementation européenne pour rester attractive et compétitive, il mène notamment une politique active de partenariats avec les milieux universitaires, avec l'implantation de laboratoires de recherche dans la région de Barcelone en Catalogne.

Il faut comme l'Espagne faciliter le financement de la recherche en veillant à l'attractivité pour les chercheurs, du point de vue tant de leur intérêt financier que de leur reconnaissance professionnelle valorisable, surtout s'ils sont issus du secteur public. Il y a aussi un aspect immobilier : il faut faciliter l'implantation des laboratoires construits physiquement, et simplifier la gestion des projets.

Y-a-t-il aussi un travail à faire vis-à-vis des patients ?

Hélène Billery : Oui, un autre facteur clé porte sur les grandes difficultés à trouver des patients pour participer aux essais cliniques sur les personnes et que cela induit un retard assez important par rapport à d'autres régions du monde. Donc oui, il faut être attractif aussi vis-à-vis des patients, penser aux délais pour la bonne appréhension des traitements de données personnelles avec le respect des règles du règlement RGPD. Pour être attractif, il faut que les personnes soient vues non comme des cobayes mais comme des pionniers.

Il faudrait également travailler avec les associations de patients sur dédiabolisation des essais cliniques et assurer la transparence. Par ailleurs sur l'aspect " data " il y a un juste équilibre à trouver entre le respect des données personnelles et la nécessité pour la recherche d‘y avoir accès.

L'encadrement des essais cliniques a fait l'objet d'un récent règlement européen :est-ce que l'environnement est plus propice depuis son entrée en vigueur ?

Hélène Billery : Avec le règlement sur les essais cliniques entré en vigueur en 2022 on gagne une procédure d'autorisation unique ce qui simplifie le processus. La plateforme est obligatoire depuis janvier 2025. En 2024 il y avait encore des difficultés techniques, mais qui ont depuis été traitées semble-t-il. Un point d'amélioration envisageable est un meilleur accès à l'identification de populations de niches susceptibles d'intéresser les laboratoires pour leurs essais cliniques. Il est plus compliqué en Europe d'identifier ces populations de niches alors qu'aux Etats-unis on a accès à des fichiers plus centralisés.

La nouvelle version des bonnes pratiques cliniques a-t-elle amélioré la situation ?

Hélène Billery : La nouvelle version des bonnes pratiques cliniques adoptée le 6 janvier 2025 est utilisée pour établir des règles internationales de mise en œuvre des essais cliniques, avec l'objectif d'harmoniser l'ensemble des règles. Les outils utilisés par les laboratoires viennent faciliter le dépôt des dossiers , éléments positifs dans l'optique d'améliorer les délais

Le nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux a-t-il un impact sur les entreprises du secteur ?

Hélène Billery : L'évolution de la réglementation sur les dispositifs médicaux (DM) ne simplifie pas la tâche aux acteurs pharmaceutiques. Le nouveau processus de certification des organismes notifiés chargés d'homologuer les DM avec le marquage CE , augmente les délais, et amène aussi un durcissement du classement des DM avec un impact sur les laboratoires, parallèlement à l'amélioration des essais cliniques. Avec ce durcissement règlementaire, ce qu'on gagne d'un côté, on le perd de l'autre.

Etienne Mathey : Le règlement sur les DM implique un surcoût qui est significatif et modifie beaucoup les budgets pour assurer la continuité de l'exploitation, il faut revoir tous les processus de marquage CE, des sommes significatives sont détournées du marketing et de la recherche, cela implique aussi de grandes charges de travail.

Y a-t-il aussi une question de moyens financiers ?

Etienne Mathey : Aussi car il faut dire qu'en France la recherche est beaucoup financée grâce au CIR (crédit d'impôt recherche) or on constate régulièrement des velléités de remise en cause de ces réductions d'impôt, qui font débat comme à l'automne 2024.

Plus de moyens c'est plus de chercheurs et plus d'investisseurs. Or aujourd'hui, l'Europe est toujours en dessous de la vague et beaucoup de fonds financent des biotech générant beaucoup de recherches plutôt aux Etats-Unis, de sorte que l'innovation vient plutôt des Etats-Unis comme on le voit avec les publications de brevets.

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