Aucune transaction sur un actif immobilier ne peut être menée à son terme sans que la fiscalité du vendeur soit prise en compte. Il en est notamment ainsi en cas de cession d’un actif détenu par une société civile immobilière (SCI), qui conduit à s’interroger sur la détermination de la plus-value fiscale sur les parts.
Par Julien Saïac, avocat associé en fiscalité internationale. Il traite plus particulièrement des questions relatives aux restructurations internationales et aux investissements immobiliers. julien.saiac@cms-bfl.com Et Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier. frederic.gerner@cms-bfl.com
Celle-ci dépend notamment des modalités d’application de la jurisprudence «Quémener», dont les contours continuent à s’affiner.
Structure d’accueil pour des investisseurs souhaitant organiser un tour de table, outil permettant de faciliter une transmission de patrimoine, moyen pertinent de réunir au sein d’une même structure un actif immobilier et son financement… la société de personnes, et plus précisément la SCI, par hypothèse non soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), reste une structure de détention du patrimoine immobilier couramment utilisée tant par les professionnels que par les particuliers.
Il est donc fréquent qu’un actif immobilier à vendre soit détenu par une SCI, et que le(s) vendeur(s) privilégie(nt) la cession de la SCI plutôt que celle de l’immeuble. L’étude des conséquences de la cession sur la fiscalité du vendeur est alors une étape nécessaire du processus qui conduira à la réalisation de la transaction.
A cet égard, la détermination de l’impôt dû par le vendeur sur la plus-value de cession des parts de la SCI implique la mise en œuvre d’une règle de calcul bien particulière, issue de la fameuse jurisprudence Quémener du Conseil d’Etat (arrêt du 16 février 2000, n° 133296). Cette jurisprudence a fixé des modalités de calcul de la plus-value fiscale permettant de tenir compte du régime de «translucidité» des sociétés de personnes (article 8 du CGI), en vertu duquel le résultat fiscal de la société est déterminé à son niveau, mais se greffe ensuite aux bénéfices ou revenus des associés, qui seuls sont redevables de l’impôt sur les résultats de la société.
Pour éviter qu’un associé soit in fine imposé deux fois sur un même profit économique, ou déduise deux fois une même perte, le Conseil d’Etat (CE) exige que le prix de revient fiscal des parts, pris en compte pour le calcul de la plus-value de cession, soit majoré des bénéfices imposés et des pertes comblées par l’associé, et minoré des bénéfices qui lui ont été répartis et des déficits qu’il a pu déduire, «à l’exception de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif».
Consacrée par la pratique et admise par l’Administration, cette formule de calcul a néanmoins laissé ouvertes de nombreuses questions, auxquelles la jurisprudence et l’Administration se sont progressivement attachées à répondre, notamment ces dernières années.
La question s’est ainsi posée de savoir si cette méthode ne s’appliquait qu’aux cessions de parts, ou si elle concernait toutes les situations donnant lieu à imposition d’une plus-value. Cette seconde alternative a logiquement prévalu. A titre d’exemple, l’Administration s’est prononcée pour l’application de la jurisprudence Quémener à l’occasion de la réévaluation, par une société, de la valeur des parts d’une SCI ayant elle-même réévalué ses actifs (cf. BOI-BIC-PVMV-40-10-60-20, n° 90). Un arrêt très récent du Conseil d’État (CE) vient par ailleurs de confirmer que cette méthode s’applique en cas de dissolution par confusion de patrimoine (27 juillet 2015, n° 362025, SA MEA).
Les contribuables se sont également demandé jusqu’où remonter dans le passé pour apprécier les bénéfices et pertes susceptibles de corriger le prix de revient des parts. L’arrêt Quémener étant muet à ce sujet, la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles (arrêt du 11 décembre 2012 n° 11VE03314, HSBC Bank PLC Paris Branch) a confirmé qu’il n’y a pas de limitation dans le temps de la prise en compte des éléments correctifs du prix de revient, ce qui peut poser des difficultés pratiques.
Cela étant, les questions les plus sensibles concernent la nature des correctifs, et plus précisément les notions de «bénéfices répartis», «bénéfices imposés» et «déficits déduits», qui ont été affinées ces dernières années. Ainsi, la CAA Nantes (17 février 2011 n° 09NT02237) a pu ranger dans la catégorie des bénéfices répartis, minorant le prix de revient des parts, les rémunérations versées par la société à ses associés gérants.
Le CE (15 décembre 2010 n° 297513, Ferreira d’Oliveira) a quant à lui limité la notion de «déficits déduits», minorant également le prix de revient, aux seuls «déficits effectivement déduits» par le contribuable, à l’exclusion de ceux qui restent reportables mais dont l’utilisation est incertaine (nécessité de bénéfices ultérieurs suffisants, qui doivent en outre respecter certaines conditions pour les personnes physiques).
S’agissant des «bénéfices imposés», un débat vise plus particulièrement les plus-values immobilières. Lorsqu’une SCI détenue par des particuliers cède un immeuble générant une plus-value exonérée (ex. résidence principale des associés, ou durée de détention suffisante), peut-on néanmoins la retenir pour le calcul du prix de revient des parts ? Une approche contraire pourrait conduire à taxer indirectement, lors de la cession des parts, une plus-value qui ne devrait pas être soumise à l’impôt.
L’arrêt Quémener a affirmé que la cession des parts ne devait pas être l’occasion de revenir sur un «avantage fiscal définitif», mais il ne l’a formellement exprimé qu’à propos de la déduction de déficits et non de l’exonération de bénéfices. Une affaire récente laissait penser que le même principe devait s’appliquer en cas de plus-value exonérée grâce à l’abattement pour durée de détention : la CAA Nancy (8 décembre 2011, n° 10NC01337) s’était prononcée en ce sens, et le CE (30 décembre 2013, n° 356551) n’avait annulé sa décision que pour des erreurs dans l’appréhension des faits, tout en validant le raisonnement sur le principe.
Etonnamment, sur renvoi, la CAA Nancy (5 mars 2015, n°14NC00122) vient de revenir sur sa position en estimant que la plus-value exonérée ne doit pas majorer le prix de revient. Cette décision est d’autant plus surprenante que l’Administration a admis, dans le cadre d’autres dispositifs légaux, la prise en compte de plus-values exonérées (au titre de l’article 151 septies du CGI : BOI-BIC-PVMV-40-10-10-30, n° 40 ; ou de l’article 238 quindecies : BOI-BIC-PVMV-40-20-50, n° 410), et que la CAA Nantes (12 octobre 2009 n° 08-3112) en a fait de même avec une plus-value placée en report d’imposition. Il serait donc souhaitable que le CE ait l’occasion de formaliser sa position à cet égard.
Enfin, les modalités d’application de la jurisprudence Quémener dans un contexte international n’ont pas été clairement définies par la jurisprudence à ce jour. La CAA Paris a certes rendu récemment un arrêt Lupa Patrimoine France (18 février 2014 n° 12PA03962) dans le cadre d’une restructuration internationale entre la France et le Luxembourg, mais le mécanisme du Quémener ne concernait en fait que des entités françaises.
La question que l’on peut se poser est celle de l’application de la jurisprudence Quémener à la cession des titres d’une SCI française détenue par un associé non-résident. On sait que, conformément à une jurisprudence du CE désormais bien établie, les résultats de la SCI sont imposables en France au nom des associés non-résidents. Dès lors, on ne voit pas ce qui s’opposerait à la prise en compte des bénéfices imposés au niveau de l’associé non-résident (a fortiori si celui-ci est domicilié dans l’UE), pour le calcul du prix de revient des parts de la SCI en cas de cession, à condition que celle-ci soit imposable en France (ce qui devrait être le cas en application de la plupart des conventions fiscales signées par la France).