Le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), autrement baptisé par nos voisins belges «Incitation à Sortir de France», par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) – on attend la version belge – semble s’être fait sans trop de heurts, du moins au niveau du processus législatif. On verra comment se passera la première mise en œuvre de ce nouveau prélèvement.
Par Philippe Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Une des principales questions qui pouvait se poser au stade du processus législatif était celle d’un éventuel risque constitutionnel. Le législateur pouvait-il restreindre le prélèvement à une catégorie d’actifs, autrement dit n’appréhender qu’un aspect de la capacité contributive des ménages concernés ? La part de l’immobilier tendant à décroître dans les patrimoines les plus importants, la réforme ne va certes pas dans le sens d’une plus juste appréhension de la capacité contributive. Mais le soulagement de voir l’ISF disparaître a sans doute contribué à inhiber certaines velléités de contestation de la réforme.
Le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur un grand nombre de dispositions du nouvel impôt (Décision n° 2017-758, points 38 à 87). S’agissant du fait de «cibler l’immobilier», le Conseil relève qu’il s’agit d’une imposition de toute nature au sens de l’article 34 de la Constitution et qu’il appartient au législateur d’en fixer l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement sous réserve de respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle. Il ajoute qu’en «instaurant cet impôt, le législateur a entendu, dans un objectif de rendement budgétaire, créer une contribution spécifique pesant sur les actifs immobiliers autres que ceux affectés par le propriétaire à sa propre activité professionnelle». En d’autres termes, le fait de chercher à mieux appréhender la capacité contributive des contribuables ne constitue pas une exigence constitutionnelle que le législateur est tenu de respecter en toutes circonstances. C’est cette même analyse qui a conduit le Conseil à écarter les critiques qui visaient le maintien de telle ou telle exonération (bois et forêts loués par bail à long terme), de tel ou tel avantage (abattement de 30 % sur la résidence principale). Pour le faire, il prend toutefois le soin de mettre en avant des arguments qui militaient en faveur de ces dérogations : protection de l’environnement pour les biens ruraux ou incitation à l’acquisition d’une résidence principale pour l’abattement de 30 %.
Le Conseil écarte aussi l’argument de la saisine selon lequel le projet de loi aurait été en contradiction avec l’objectif de favoriser l’investissement productif en écartant de son assiette des actifs comme les œuvres d’art ou certains placements mobiliers. Il tente ainsi de préciser la frontière entre ce qui relève du contrôle de constitutionnalité et ce qui doit relever de la seule appréciation du pouvoir politique.
En pratique, le Conseil constitutionnel n’a censuré qu’une disposition du nouveau texte, celle qui aurait abouti à traiter différemment les titulaires d’un usufruit viager selon la date à laquelle serait intervenue le démembrement. Le Conseil relève que cette différence n’est «ni justifiée par une différence de situation ni par un motif d’intérêt général.»
Sur un autre sujet, l’analyse du Conseil semble quelque peu ambiguë. En effet, il valide la solution consistant à prévoir la réintégration d’une fraction de la dette correspondant à des prêts in fine, ce qui consiste à la traiter comme un emprunt amortissable en indiquant (point 75) que «le législateur a entendu éviter que la conclusion de contrats de prêts prévoyant un remboursement de la totalité du capital à l’issue d’un délai important permette au contribuable de diminuer artificiellement la base taxable de l’IFI. Par ailleurs, sans remettre en cause la déductibilité de l’emprunt, ces dispositions se bornent à déterminer le rythme suivant lequel celui-ci est déductible. Dès lors, ces dispositions, qui n’instituent pas une présomption de fraude fiscale, ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant les charges publiques». Sans doute la saisine se bornait-elle à faire valoir qu’il s’agissait d’un dispositif anti-abus et qu’il aurait dû être possible d’apporter la preuve contraire. Mais, en présentant ce dispositif comme un élément d’assiette tout en utilisant l’adverbe «artificiellement», le Conseil laisse subsister un doute sur la portée de son analyse. Pour l’avenir, on peut comprendre que le législateur ait pu chercher à se prémunir contre une organisation artificielle consistant à gonfler la dette déductible. Mais ce raisonnement est-il transposable aux dettes préexistant à la création de l’IFI ? Peut-on voir dans le recours à des emprunts in fine une tentative destinée à réduire l’assiette d’un impôt qui n’existait pas encore à la date à laquelle ils ont été contractés ?
Peut-on dire que le Conseil constitutionnel a épuisé sa compétence à propos de l’IFI après cette décision ? Pas nécessairement, nous semble-t-il. Un point demeure notamment quant à l’appréciation du caractère éventuellement confiscatoire du prélèvement. Sans doute le mécanisme de plafonnement des impôts dus en France et à l’étranger à 75 % des revenus mondiaux, qui existait pour l’ISF, est-il maintenu. Mais au-delà de ce mécanisme global, ne faut-il pas se poser la question de la bonne façon d’apprécier le caractère confiscatoire des prélèvements ?
Prenons l’exemple suivant. Un bien immobilier d’une valeur de 250 000 euros produit un rendement brut de 4 %, taux relativement élevé pour de l’immobilier résidentiel, soit un loyer annuel de 10 000 euros. On suppose un taux moyen d’IFI de 0,75 % et une taxe foncière qui peut représenter environ un mois et demi de loyer (12,5 %). Avec un pourcentage de charges, hors taxe foncière et frais financiers éventuels, de l’ordre d’un tiers et un taux d’imposition du revenu net de 53 % environ, on arrive à un revenu net après impôts de 8 euros. Le taux de prélèvement, sur la base de ces hypothèses qui ne relèvent pas de situations exceptionnelles, serait de 99,9 %. Autant dire que, rapporté aux seuls revenus immobiliers, le niveau de prélèvements de 75 % devrait être fréquemment dépassé. Rappelons que cette zone des 75 % avait été retenue comme caractérisant un niveau confiscatoire de prélèvements dans les décisions du Conseil constitutionnel de 2012 et 2013. Cette situation est-elle acceptable sur le plan constitutionnel ? La question mériterait peut-être d’être posée, à moins qu’on ne laisse la rationalité économique des contribuables faire son œuvre.