Alors que les fonds dédiés à la biodiversité se font plus nombreux, Emmanuelle Sée, head of equity en charge de l’impact investing et de la thématique biodiversité chez Swiss Life Asset Managers France, rappelle les exigences nécessaires pour réellement investir dans la protection des écosystèmes.
L’investissement en faveur du climat est devenu pratique courante. Faut-il aborder la biodiversité avec la même approche ?
Un fonds d’investissement biodiversité ne peut avoir la même approche qu’un fonds climat, il s’agit là de deux perspectives différentes. Certes, le changement climatique représente la 3e cause de perte de biodiversité dans le monde selon l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Néanmoins, de nombreuses solutions en faveur du climat peuvent nuire à la biodiversité, comme les systèmes de capture et stockage du carbone. Autre point distinctif, les données disponibles : le climat dispose d’un cadre de référence et de métriques communément admises, tandis que celles relatives à la biodiversité sont encore en cours d’élaboration, avec de rares données agrégées. Le MSA, mean species abundance (abondance moyenne des espèces), est de plus en plus utilisé, mais demeure en construction. Il ne traite pas, par exemple, de l’écosystème maritime, l’un des trois composants de la biodiversité, aux côtés des écosystèmes terrestres et d’eau douce.
En l’absence de données agrégées sur la biodiversité, comment faites-vous pour investir sur ce thème ?
Nous sommes les premiers à avoir lancé un fonds global actions sur la biodiversité, SLF (LUX) Equity Environment & Biodiversity Impact, dès août 2021, avant même la Cop 15 Biodiversité. Pour cela, nous avons créé une méthodologie propriétaire, en nous basant sur les données scientifiques et académiques, nombreuses et bien sourcées. Nous profitons aussi des avancées notables dans ce domaine, car la préservation de la biodiversité s’est imposée dans les politiques nationales, les accords internationaux et les ODD (objectifs de développement durable de l’ONU), sur lesquels nous nous appuyons également. Nous assistons à une convergence entre les actions du secteur public, du secteur privé et de la réglementation, auxquelles nous essayons d’ailleurs de contribuer. Nous avons beaucoup d’échanges avec ces acteurs et sommes membres de l’initiative Finance for Biodiversity. Nous avons participé notamment à la rédaction d’un guide afin d’aider les institutionnels à appréhender le lien entre investissement et biodiversité. Il a été présenté pendant le Sommet européen business et nature (EBNS), organisé par la Commission européenne, en octobre dernier.
Quelle est votre vision de l’investissement thématique sur la biodiversité ?
La biodiversité représente, selon le World Economic Forum, une opportunité de 10 trillions de dollars et de 400 millions d’emplois dans le monde d’ici 2030. Nous l’abordons avec une double perspective : sélectionner les entreprises qui œuvrent activement pour réduire leur impact sur la biodiversité et celles qui apportent des solutions en faveur de cette dernière. Bon nombre de fonds s’affichent « biodiversité » mais investissent sur des sociétés qui exploitent les ressources naturelles ; c’est pour nous le contraire d’un investissement en faveur de la biodiversité. Nous allons par exemple sélectionner des entreprises dans l’économie circulaire, dans le traitement des déchets et des métaux, dans l’économie régénérative, qui aide à restaurer des écosystèmes, ou encore dans les énergies renouvelables qui prennent en compte la biodiversité. Nous sommes un fonds à impact, il est donc essentiel que l’action en faveur de la biodiversité ait une matérialité, nous ne nous contentons pas de projets ou de R&D.
Comment cela se traduit-il dans votre portefeuille biodiversité ?
Notre univers d’investissement, parmi les actions des pays développés, compte près de 300 valeurs et le fonds a entre 50 et 80 titres en portefeuille. Nous sommes très attentifs aux évolutions de notre secteur et surveillons aussi le non-coté et les projets globaux. Nos valeurs sont orientées small et mid caps, car le traitement de l’impact serait trop dilué au sein des grandes sociétés. Notre fonds est surpondéré sur le Japon et l’Europe ainsi que sur certains secteurs, notamment l’industrie avec les clean techs, les matériaux, et la consommation de base. D’un point de vue factoriel, nous investissons sur de la croissance future moyen terme. Le portefeuille est de facto légèrement long sur les valeurs dites « value. » Ces biais peuvent être modulés afin de s’adapter aux évolutions de marché et préserver la performance, comme nous l’avons fait l’année dernière. Notre véritable particularité réside en premier lieu dans notre méthodologie biodiversité, mais également dans notre gestion active « quantamentale », conjuguant une approche fondamentale et quantitative. Cela rend le fonds robuste tout en procurant toute la marge de manœuvre nécessaire pour une gestion active.