Réglementation

Directive sur la transparence des rémunérations : quel rôle pour la direction financière ?

Publié le 30 avril 2025 à 8h00

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

La directive européenne sur la transparence des rémunérations doit être transposée en droit français au plus tard le 7 juin 2026. Elle impose de nouvelles règles aux entreprises pour favoriser l’équité salariale et la transparence des rémunérations. Si la fonction ressources humaines est fortement mobilisée, la fonction finance n’est pas en reste, qui analyse les données et contribue aux arbitrages sur l’évolution des rémunérations.

Le sujet est sur la table, mais n’est pas encore prioritaire. « Dans les entreprises de plus de 250 salariés, le sujet est clairement identifié », constate Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération et autrice de l’ouvrage « Pour construire une politique de rémunération pertinence et efficace » aux éditions Dunod. « Néanmoins, ajoute-t-elle, la liste des tâches à traiter est si importante que le sujet de la transparence des rémunérations est, pour l’heure, en bas de la pile. » Des propos confirmés par Cyril Bregou, associé-gérant, people base CBM, qui estime que « cette directive ajoute encore une couche de reporting à des entreprises qui sont déjà très occupées ». Pourtant, le respect de la directive sur la transparence des rémunérations nécessite un important travail de mise à plat des politiques de rémunérations. A l’instar de la CSRD, les entreprises vont devoir compiler de la data et instaurer des indicateurs chiffrés, permettant de de monitorer les écarts de rémunération entre collaborateurs. « Il s’agit d’un chantier énorme qui va impacter très fortement la structure de rémunération dans les entreprises », souligne Sandrine Dorbes.

«Il faudra produire de la data permettant d’évaluer les postes de manière objective.»

Cyril Bregou associé-gérant ,  cabinet de conseil people base CBM

Des candidats mieux ciblés

La directive impose une transparence dès l’embauche : les employeurs devront informer les candidats du salaire ou de la fourchette de rémunération dès le début du processus de recrutement. Une formalisation déjà à l’œuvre dans la plupart des cabinets de recrutement, notamment sur les fonctions financières. « Nous avons d’ores et déjà mis en place cette transparence dans la plupart de nos annonces, explique Sacha Kalusevic, directeur senior Michael Page. Chaque annonce s’accompagne d’une fourchette de salaire. » Les experts du recrutement constatent d’ailleurs que la mention de la rémunération dès la publication de l’offre permet de mieux cibler les candidats. « Si le niveau de rémunération est en accord avec le marché, je constate que j’ai davantage de réponses aux offres publiées lorsque j’affiche le salaire que lorsque je ne l’affiche pas », souligne Alexandre Ricard, associé au sein du cabinet Elma spécialisé dans le recrutement de profils en finance corporate. Autre changement majeur : lors de l’entretien d’embauche, les recruteurs n’auront pas le droit de demander au candidat des informations sur leurs rémunérations précédentes.

La transparence salariale concerne aussi et surtout les collaborateurs en poste. Les salariés disposeront d’un « droit à l’information » leur permettant de demander des informations sur leur niveau de rémunération et les écarts salariaux par sexe et catégorie de travailleurs. « Il n’est pas du tout évident de définir ce qu’est un poste identique, souligne Cyril Bregou. Il faudra donc produire de la data permettant d’évaluer les postes de manière objective. La charge de la preuve incombe aux entreprises, elles devront donc être capables de documenter chaque augmentation de salaire. » Il constate par ailleurs qu’à l’heure actuelle, aucune entreprise n’est réellement en mesure de justifier les écarts de salaire. Enfin, les entreprises devront analyser et diffuser des données détaillées sur les écarts de rémunération entre hommes et femmes, incluant les écarts de rémunération fixe et variable, l’écart médian et la répartition par quartile. Là encore, l’exercice nécessitera un corpus de datas particulièrement fournies.

Une bombe à retardement

La formalisation des politiques de rémunérations incombe aux directions des ressources humaines. Elles ont la charge de la classification des emplois, correspondant à une grille de rémunération. Elles doivent également définir la politique de révision salariale en fonction de critères objectifs. La direction financière entre, elle aussi, en jeu. « Etant garante de l’équilibre financier d’une organisation, elle sera en première ligne pour arbitrer les évolutions de rémunération, explique Cyril Bregou. C’est la direction financière qui a la charge de l’analyse de la data. Grâce à l’analyse des données, le contrôleur de gestion sociale devra identifier les écarts de rémunération non justifiés. » Comme souvent au sein des directions financières, son rôle sera celui du lanceur d’alerte, alertant la direction en cas d’anomalies.

Dans certaines entreprises, l’application de la directive est une véritable bombe à retardement. « Le problème va venir du nécessaire rattrapage, explique Sacha Kalusevic. A l’issue de la crise sanitaire, nous avons eu une inflation des salaires à l’embauche. » Ainsi, au sein d’une entreprise, il n’est pas rare qu’une jeune recrue se soit vu proposer le même salaire que celui d’un collaborateur présent dans l’entreprise depuis plusieurs années. La directive imposera donc de remettre à niveau les salaires des plus anciennes recrues. Mais que faire, si l’entreprise n’a pas la capacité d’aligner les rémunérations ? Le dernier mot sera alors du ressort de la direction financière. « Il n’est pas possible de trouver d’argent magique. Seules les entreprises qui le pourront feront l’effort. Les autres devront alors sans doute assumer une image publique qui ne sera pas terrible », explique Sandrine Dorbes. Car dans sa volonté de transparence, la loi impose la publication des écarts de rémunération. Pour mettre à niveau les salariés les bien moins lotis, une seule solution : « geler les augmentations des personnes “surpayées”, le temps de mettre à niveau les rémunérations », explique Cyril Bregou.

Un nécessaire arbitrage

La politique d’augmentation devra désormais être savamment pensée, afin d’éviter toute possibilité de traitement particulier. Pour cette nécessaire remise à niveau, toutes les fonctions régaliennes seront convoquées : la direction des ressources humaines, la direction générale et la direction financière. Il s’agira alors de « fixer un moment dans l’année pour étudier l’ensemble des situations salariales, explique Sandrine Dorbes. Pour ce faire, il faut d’abord définir un budget global, et s’appuyer sur les entretiens d’évaluation et les entretiens professionnels pour examiner les historiques de rémunération, comparer les postes équivalents en matière de responsabilités et arbitrer les décisions. Cela facilite l’anticipation du budget en regroupant les augmentations à un moment fixe de l’année ». Elle ajoute que les évolutions de salaire dépendront ainsi de trois facteurs : « d’abord du budget disponible et des priorités de l’entreprise, ensuite des évaluations annuelles et enfin des NAO (négociations annuelles obligatoires) et du dialogue social ». Une équation plus que complexe pour la direction des ressources humaines, même épaulée par la direction financière...

Transparence des rémunérations : quelles entreprises concernées ?

Les obligations contenues dans la directive européenne varient en fonction de la taille des entreprises. Les entreprises de 250 salariés ou plus devront publier chaque année des informations détaillées sur les écarts de rémunération, tandis que les entreprises comptant entre 150 et 249 salariés seront tenues de fournir ces informations tous les trois ans. Enfin, les entreprises de 100 à 149 salariés devront également publier des rapports tous les trois ans, une obligation qui entrera en vigueur à une date ultérieure. A noter : les entreprises de moins de 100 salariés ne sont pas soumises aux obligations de communication, mais les Etats membres peuvent choisir d’étendre ces exigences aux plus petites structures.

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