Grand Débat

Climat et biodiversité : La transparence et la pédagogie comme leviers de transformation

Publié le 27 juin 2025 à 14h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 45 minutes

Six experts de la gestion d’actifs et de l’investissement durable livrent dans le cadre du Grand Débat du magazine Option Finance leur vision croisée sur l’intégration du climat et de la biodiversité dans les stratégies financières. A travers un échange nourri, ils rappellent l’urgence d’aligner capitaux et objectifs écologiques face à des défis systémiques. Si les approches en matière climatique sont mieux outillées, celles portant sur la biodiversité restent émergentes, complexifiant les mesures d’impact et la comparabilité des données. Pourtant, des solutions émergent : flécher l’épargne, structurer les fonds à impact, repenser la performance au prisme du risque ESG… Entre transformation culturelle, régulation en mouvement et attentes croissantes des investisseurs, le Grand Débat dresse un état des lieux lucide et propose des pistes concrètes pour faire évoluer les modèles d’investissement vers une durabilité véritable qui permette d’aligner les stratégies financières sur les objectifs en termes de réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.

Les intervenants :

  • Caroline Le Meaux, Amundi
  • Carlos Araujo Blanco, Allianz France
  • Hervé Guez, Mirova 
  • Victoria Richard Weill, Ofi Invest Asset Management
  • Renaud Serre-Lapergue, SWEN Capital Partners
  • Aglaé Touchard Le Drian, RAISE Impact

Photos : ©Christopher Salgadinho

Comment qualifier les principaux enjeux autour du climat et de la biodiversité ?

Hervé Guez, direction des gestions actions et taux chez Mirova : Il existe deux sources scientifiques principales pour qualifier le changement climatique et la perte de biodiversité : le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour le premier et l’IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) pour la seconde. Face aux constats dressés par ces organisations, il est possible de traiter ces sujets sous l’angle du risque et d’essayer d’analyser dans quelle mesure le réchauffement climatique impacte l’économie au sens large et quelles sont les incidences de la perte de la biodiversité. Dans cette perspective, toutes les entreprises sont appelées à gérer ces risques. Mais ces problématiques peuvent aussi être considérées sous l’angle de la transformation et de l’innovation. Il s’agit alors d’analyser la façon dont les entreprises accompagnent et/ou produisent ces transformations et les opportunités induites. Il faut aussi souligner le fait que le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité ont des effets systémiques qui sont difficiles à modéliser et ne s’inscrivent pas dans les modèles financiers traditionnels. Il n’est donc pas évident de parvenir à élaborer des scénarios. Et face à des enjeux systémiques, il n’est pas forcément facile d’agir : en tant que citoyens, en avons-nous les moyens ? Comment inciter les entreprises à agir et à se transformer ? Ou faut-il simplement chercher à minimiser les risques ?

Caroline Le Meaux, responsable de l’équipe recherche ESG, engagement et vote d’Amundi : Traditionnellement, lorsque nous évoquons les thèmes du climat et de la biodiversité, nous nous appuyons sur une vision liée à l’émetteur, mais nous devons aussi considérer la vision de l’investisseur. Qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un institutionnel, celui-ci est par définition diversifié, les risques auxquels il est exposé sont liés à l’économie. Dans cette perspective, l’impact financier de la perte la biodiversité et celui du changement climatique ont été bien qualifiés. La Banque mondiale par exemple a estimé que la perte de biodiversité représente 3 % du PIB mondial à l’horizon de cette décennie. Sachant que ce chiffre constitue une moyenne, certaines régions et notamment l’Asie du Sud-Est étant largement plus impactées, le PIB peut ainsi se voir dégradé de 8 à 9 % dans ces zones.

Carlos Araujo Blanco, directeur investissement durable et conformité à l’unité Investissements d’Allianz France : Durant les 15 dernières années, les acteurs financiers ont focalisé leurs efforts principalement sur le climat. Ils sont parvenus à bien cerner les risques et à trouver des solutions – comme le financement des énergies renouvelables – pour mener la transition énergétique. A ce titre, les experts scientifiques ont défini des trajectoires nécessaires pour aligner le réchauffement climatique sur 1,5° C au maximum et ont défini les contributions de chaque pays. Il aura certes fallu beaucoup de temps pour fiabiliser les données, mais les estimations sont maintenant devenues beaucoup plus précises. En revanche, en matière de biodiversité, nous ne sommes qu’au début des travaux, il est encore difficile de traduire concrètement l’impact des actions menées. Nous finançons des actions, mais nous nous situons dans une étape pilote pour évaluer l’impact de celles-ci sur les transformations à mener. Les experts sont encore en train d’estimer les budgets par pays et la trajectoire nécessaire pour préserver le capital naturel.

Renaud Serre-Lapergue, directeur de la stratégie finance durable de SWEN Capital Partners : Il est impératif que chaque industrie identifie ses impacts et ses dépendances vis-à-vis de la biodiversité et prenne conscience de la trajectoire à suivre pour permettre un alignement avec les objectifs établis lors de la COP 15 de Kunming-Montréal en 2022. Il s’agit de s’inscrire dans une démarche visant à stopper et renverser l’érosion de la biodiversité, rien de moins. Tout l’enjeu désormais consiste à identifier des leviers et des objectifs à atteindre pour chaque secteur, en attribuant des quotes-parts d’efforts à fournir selon des indicateurs de mesure particulièrement complexes. Contrairement au climat, où les actions à entreprendre sont relativement bien comprises et relèvent de la réduction des émissions de carbone, arrêter l’érosion de la biodiversité présente une réalité bien plus complexe. Il est difficile d’identifier un indicateur de mesure unique, voire un ensemble restreint d’indicateurs permettant de suivre efficacement les progrès. Malgré les difficultés, l’absence d’un cadre parfait ne doit pas freiner l’action. Il important de se poser les bonnes questions et d’agir. Il est tout aussi important de combiner différents objectifs : préserver la biodiversité ne peut pas se faire au détriment du progrès social.

Aglaé Touchard Le Drian, directrice générale de RAISE et co-head de RAISE Impact

"Aujourd’hui seulement 1 % des actifs sous gestion sont dirigés vers les stratégies à impact et 20 à 30 % vers les stratégies durables. Il faut mobiliser bien davantage de financements."

Spécialiste de l’investissement à impact, Aglaé Touchard Le Drian a auparavant travaillé à la Banque européenne d’investissement (BEI), au Fonds européen d’investissement (FEI), ainsi qu’à Proparco et à l’Agence française de développement (AFD), et précédemment en tant que conseil en stratégie et en banque d’investissement. Diplômée de Sciences Po Paris, de Paris School of Management et de Paris-Dauphine, elle enseigne également l’investissement à impact à Sciences Po.

Données clés RAISE Impact

  • Effectifs dans l’expertise impact et % par rapport aux effectifs globaux : 20 % (10 sur 50)
  • Encours dans l’expertise impact et % par rapport aux encours globaux : 13 % (260 millions d’euros sur 2 milliards d’euros)
  • Performance dans l’un des fonds phares : objectif de TRI 15-20 %
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : stratégie small-mid cap européenne qui prend en charge les enjeux de la transition environnementale et sociale.

Aglaé Touchard Le Drian, directrice générale de RAISE et co-head de RAISE Impact : La finance peut constituer un levier d’action structurant pour mener les transitions. Elle prend déjà en compte tous les enjeux ESG (environnement, social et gouvernance) qui sont intégrés dans les process de la gestion d’actifs en Europe et dans les chaînes de valeur des entreprises. Il reste un enjeu majeur à traiter : celui de flécher plus de flux de capitaux vers les entreprises qui possèdent des modèles d’affaires plus durables et qui intègrent la problématique de l’environnement dans leurs activités cœur business. Le sujet de la temporalité est aussi important. La finance peut jouer un rôle intéressant avec des financements innovants pour essayer de catalyser des innovations en diminuant le profil de risque pour les investisseurs. Le problème étant que nous ne mobilisons pas les moyens nécessaires aujourd’hui pour enrayer le réchauffement climatique et protéger les espèces menacées dont la préservation est pourtant nécessaire pour assurer notre survie. Des milliers de milliards de dollars sont nécessaires pour financer les objectifs du développement durable (ODD) définis par les Nations Unies à 2030. Aujourd’hui seulement 1 % des actifs sous gestion sont dirigés vers les stratégies à impact et 20 à 30 % vers les stratégies durables. Il faut mobiliser bien davantage de financements à travers des mécanismes incitatifs et en intégrant la mobilisation de tous les acteurs.

Victoria Richard Weill, gérante actions globales & thématiques chez Ofi Invest Asset Management : En matière de constat sur la biodiversité, nous mettons en avant un chiffre significatif : plus de 50 % du PIB mondial dépendent directement des services écosystémiques. Nous oublions souvent qu’une grande partie de l’activité économique est liée aux services qui nous sont rendus par la nature : la

pollinisation, l’approvisionnement en eau douce... Il est impératif pour tous les gouvernements et toutes les entreprises de s’engager collectivement sur ce sujet car nous sommes tous concernés et les effets sont déjà visibles. Prenons un exemple simple pour illustrer comment les pressions qui pèsent sur la biodiversité ont déjà un impact : la hausse des prix du chocolat ces dernières années. Cette hausse s’explique en grande partie par une baisse de l’offre de cacao. L’Afrique de l’Ouest (qui produit environ 70 % du cacao mondial) est de plus en plus souvent confrontée à des conditions météorologiques extrêmes (températures plus élevées et précipitations irrégulières) et à des maladies qui touchent les cacaoyers notamment le « swollen shoot » transmis par certains insectes comme les cochenilles. Le « swollen shoot » se propage plus facilement dans des plantations en monoculture où la biodiversité est faible. La disparition des insectes prédateurs naturels des cochenilles, la déforestation et la standardisation des variétés cultivées rendent les cacaoyers plus vulnérables.

La problématique des données nous semble également importante à souligner. Le climat est un sujet plus mature, mais aussi plus simple de ce point de vue. Il n’y a qu’une grande famille d’indicateurs. Les scopes 1 (émissions directes) et 2 (émissions indirectes liées à la production d’énergie) sont maintenant bien compris et bien intégrés et même s’il y a encore des débats sur le scope 3 (autres émissions indirectes), le suivi des progrès des sociétés est plutôt bien avancé. En revanche, en matière de biodiversité, il y a beaucoup plus d’indicateurs à prendre en compte. Quand les données sont disponibles, il y a parfois un problème de comparabilité y compris entre entreprises d’un même secteur. Ces dernières peuvent aussi posséder des méthodologies et des périmètres différents et d’une année sur l’autre les sociétés peuvent faire évoluer leur méthodologie. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que les données soient parfaites pour agir, mais nous savons tous qu’elles sont encore perfectibles.

Caroline Le Meaux : Il y a un sujet sur lequel les entreprises ne sont pas encore matures, c’est celui de la compréhension de leur dépendance. Nous devons mener un travail complémentaire afin de comprendre leur chaîne de valeurs et les ressources qui posent des problèmes sensibles.

Caroline Le Meaux, responsable de l’équipe recherche ESG, engagement et vote d’Amundi

"En dehors de l’Europe, en Asie notamment, nous constatons aussi une volonté des investisseurs de financer l’adaptation des économies pour les rendre plus résilientes aux phénomènes climatiques négatifs ou aux conséquences de la perte de biodiversité notamment."

Caroline Le Meaux rejoint Amundi en 2019 en tant que responsable de l’équipe de recherche ESG, de l’engagement et du vote, au sein de la Ligne métier ESG. Elle commence sa carrière chez Paribas Asset Management et devient gérante de fonds spécialisés en actions européennes Small et Mid Caps et a aussi été responsable de l’analyse quantitative des actions européennes. Ensuite, elle devient responsable des investissements long terme au pôle retraite de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), chargée de la stratégie ISR, de la politique ESG et climatique. De 2011 à 2014, elle est directrice des investissements au FRR (Fonds de Réserves des Retraites). Elle est analyste financier CFA (Chartered Financial Analyst) et diplômée de l’université Paris IX Dauphine.

Amundi données clés

  • Encours dans l’expertise : 64 milliards d’encours ont été investis en Green Bonds sur tous les types de portefeuille, soit 8,4 % du total des encours les encours en gestion obligataire au 31/03/2025
  • Effectifs dans l’expertise : 19 personnes spécialisé dans le thématique Green Bonds (équipes gérants de portefeuille, analystes et spécialistes d’investissement).
  • Produit phare : ARI Impact Green Bond I2 EUR(C)
  • Philosophie d’investissement : Amundi Responsible Investing - Impact Green Bond a été créé en 2016 avec pour objectif de financer la transition énergétique par le biais d’obligations vertes qui ont un impact positif et mesurable sur l’environnement. Il s’agit aussi d’offrir des rendements financiers attractifs tout au long des différents cycles économiques. Pour cela, les équipes évaluent l’aspect environnemental des projets financés par les obligations vertes, en considérant l’impact positif généré, c’est-à-dire les émissions de CO2 évitées en tonnes (tCO2) par million d’euros investi. Cette stratégie de gestion active s’appuie sur un processus de gestion solide et éprouvé grâce à une recherche fondamentale reconnue et une expertise ESG robuste.

Hervé Guez : Sur les enjeux et le rôle de la finance, nous sommes confrontés à deux types d’attitudes. La première est de considérer que la finance est neutre, une fois que l’économie se sera transformée, la finance suivra. La seconde est d’admettre que les modèles d’allocation de capitaux font partie intégrante de l’économie et qu’ils doivent donc aussi s’interroger sur leur nécessaire transformation face à ces nouveaux risques systémiques que sont le climat et la biodiversité. Or, les modèles classiques ont été construits à partir d’une optimisation du couple risque/rendement qui ne permet pas de donner un juste prix aux externalités environnementales et au risque systémique qu’elles peuvent générer. Il faut donc changer radicalement l’approche et intégrer progressivement l’impact environnemental comme une dimension supplémentaire de l’analyse classique rendement/risque. Par rapport au sujet de l’épargne, cette problématique peut sembler bien théorique, mais lorsque nous proposons des produits qui prennent en compte le climat et la biodiversité, notre message consiste exactement à dire que la façon d’allouer le capital sous le prisme de la liquidité et du risque/rendement n’est pas pertinente. Il faut ajouter une autre dimension qui relève de l’impact environnemental et social de l’investissement afin de prendre en compte les risques systémiques.

Caroline Le Meaux : Il faut intégrer une nouvelle dimension au cœur des process d’investissement. Il faut aller plus loin et revoir la façon dont la performance est calculée en intégrant les critères extra-financiers.

Comment faire si les modèles économiques ne peuvent intégrer les externalités dans leur calcul ?

Hervé Guez : Il est important de faire passer un message à travers l’acte d’investissement comme cela a pu être le cas en matière de consommation en mettant l’accent, au-delà du couple prix/qualité, sur l’impact sur l’environnement de la consommation. Des labels ont été créés pour favoriser la production locale. Il faut de la même manière changer la logique et ajouter une troisième dimension en considérant le triptyque risque/rendement/ESG. Une partie de la transformation est en effet culturelle. La focalisation sur les données, les méthodes est d’une certaine façon secondaire par rapport à la nécessité de changer radicalement d’approche afin de transformer nos systèmes.

Caroline Le Meaux : Il n’est pas nécessaire de travailler sur une troisième dimension. Il est possible de définir les risques de façon extensive c’est-à-dire en ne se limitant pas à la simple volatilité financière.

Hervé Guez : Dans un modèle financier, l’optimisation à long terme est équivalente à l’addition d’une série de maximisations à court terme. Mais cela n’est pas le cas, si on prend en compte les impacts extra-financiers et en particulier environnementaux : les effets à court terme ne sont pas les mêmes qu’à long terme. Les enjeux sont systémiques. Il faut donc parvenir à faire comprendre qu’ils remettent en cause les modèles économiques et financiers. Il faut faire comprendre aux investisseurs que l’allocation de l’épargne a un rôle à jouer dans les transformations. Nous devons porter un discours pédagogique. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas prendre en compte le risque/rendement.

Renaud Serre-Lapergue : Les institutionnels ont de leur côté déjà pris conscience de la nécessité d’intégrer une troisième dimension, la durabilité, dans leur choix d’investissement. Nous l’observons concrètement à travers les demandes de nos principaux clients. En effet, le climat et la biodiversité occupent désormais une place centrale dans les appels d’offres des institutionnels. Nous constatons également un intérêt croissant dans les levées de fonds sur ces thématiques.

La recherche d’impact peut-elle devenir un véritable moteur de la levée de fonds dans le non-coté ?

Caroline Le Meaux : Nous observons en effet une accélération dans le non-coté des investissements à impact, mais est-ce suffisant ? En dehors de l’Europe, en Asie notamment, nous constatons aussi une volonté des investisseurs de financer l’adaptation des économies pour les rendre plus résilientes aux phénomènes climatiques négatifs ou aux conséquences de la perte de biodiversité notamment. Pour atteindre ces objectifs, il faut également considérer les investissements cotés qui peuvent mobiliser davantage de capitaux.

Aglaé Touchard Le Drian : Nous observons le lancement d’un nombre toujours plus important de stratégies à impact ou durables, même si le contexte actuel – avec ce qui se passe aux Etats-Unis (à savoir l’ESG-bashing) – est moins porteur. Les investisseurs américains sont maintenant très polarisés entre les défenseurs de l’ISR et ses détracteurs. En Europe aussi, nous assistons à une certaine forme de polarisation avec des « stop & go » dans les ambitions réglementaires des institutions européennes. Il est important de souligner que dans le cadre des investissements à impact, nous construisons la compétitivité et la résilience des business de demain. Nous pouvons grâce à notre présence au sein des comités d’administration jouer un rôle dans la prise de conscience des entreprises et dans l’accompagnement et la mise en place de nouvelles stratégies respectueuses des critères ESG au sein même des modèles d’affaires et donc dans leur trajectoire.

Hervé Guez : L’épargne a été construite en privilégiant la liquidité et en considérant le risque/rendement. Le non-coté occupe ainsi une part très réduite voire inexistante dans l’allocation d’actifs des particuliers en France. Le fait d’intégrer les sujets climat et biodiversité peut aussi être l’occasion de faire une place pour le non-coté dans les allocations des particuliers.

Victoria Richard Weill, gérante actions globales & thématiques chez Ofi Invest Asset Management

"Une société qui gère l’ensemble de ses risques, qu’ils soient financiers ou extra-financiers, a selon nous plus de chances de perdurer dans le temps."

Avant de rejoindre Ofi Invest Asset Management, Victoria a été pendant plus de dix ans gérante actions au sein de l’équipe d’investissement socialement responsable de BNP Paribas Asset Management et analyste financier sur les secteurs de la santé et de la consommation courante. Victoria est titulaire d’un master 2 en finance de l’Université Paris Cité, d’un master 1 en finance du groupe INSEEC et du CESGA (Certified ESG Analyst).

Chiffres clés au 31/03/2025 Ofi Invest Asset Management

  • Encours dans l’expertise sous gestion : 177 milliards d’euros dont 6,8 milliards d’euros sur les actions thématiques & globales
  • Effectifs dans l’expertise : 400 dont 10 gérants sur les actions thématiques & globales
  • Philosophie d’investissement : la stratégie actions thématiques dédiée à la biodiversité recherche la performance à long terme sur les marchés actions en sélectionnant, via un score propriétaire, des entreprises qui s’engagent à gérer et à réduire leurs impacts négatifs sur la biodiversité, et celles qui apportent des solutions pour la préservation de la biodiversité, avec un horizon de placement de cinq ans au minimum et le risque de perte en capital associé à un investissement en actions.

Que font les compagnies d’assurances ? Sont-elles réceptives à la nécessité de démocratiser les fonds à impact non cotés auprès des particuliers ?

Carlos Araujo Blanco : La réglementation a récemment permis de changer les modèles de distribution. Aujourd’hui, nous ne nous limitons plus à proposer seulement des fonds durables ou vertueux dans le cadre des contrats d’assurance-vie, nous devons aussi interroger les clients sur leur appétit pour les fonds durables et sur le pourcentage qu’ils veulent allouer à ces fonds dans leur contrat. Cette obligation liée à la Loi Industrie Verte (LIV) modifie la façon dont nous travaillons ainsi que nos critères de sélection des fonds à mettre à la disposition des particuliers. Nous devons maintenant travailler avec des partenaires qui sont aussi exigeants en matière de critères extra-financiers. A titre d’exemple, aujourd’hui nous ne pouvons plus sélectionner un fonds dont le pourcentage d’investissement dans des titres durables est inférieur à un certain seuil de taxonomie, d’investissement durable ou de PAI (principal adverse impact) pour un contrat où les clients demandent un certain niveau de durabilité. Cela suppose de favoriser des allocations de fonds dits article 9, dans le cadre du règlement européen Sustainable Finance Disclosures Regulation (SFDR) sur la transparence des fonds et d’être très sélectifs sur les fonds article 8. La réglementation a permis de changer les règles du jeu en Europe et encourage l’investissement responsable.

Cependant, le rétropédalage des institutions européennes sur la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ne va t-il pas à l’encontre du développement de l’investissement responsable ?

Aglaé Touchard Le Drian : Les réglementations CSRD et SFDR étaient peu adaptées aux petites entreprises non cotées. Ces dernières n’ont pas les moyens d’aller chercher des données aussi fines et précises et cela n’est pas forcément leur priorité. Le paquet Omnibus de la Commission européenne qui vise à simplifier ces textes a réduit drastiquement le champ d’application de cette directive ; dès lors, près de 80 % d’entre elles vont échapper à ces nouvelles obligations. Elles disposeront ainsi de plus de temps pour s’adapter. Ces avancées réglementaires avaient tout de même l’avantage de forcer les entreprises à se poser des questions sur leurs impacts, sur leurs dépendances, sur leurs trajectoires… et d’en faire des outils de performance. Il faut garder ce cap, qui est une vraie opportunité pour l’Europe de construire une économie plus résiliente et robuste sur le long terme.

Victoria Richard Weill : Il faut accepter que l’accès aux données ainsi que leur qualité ne soient pas parfaits. Nous sommes parfois amenés à travailler sur la base d’estimations et non de données réelles. Le marché n’est pas encore mature même si en Europe nous sommes plus avancés que dans le reste du monde.

Caroline Le Meaux : Les actifs réels constituent une dimension importante du financement de la transition, mais attention, les volumes mobilisés sont insuffisants pour mener à bien les transformations nécessaires. Tous les canaux doivent être utilisés. Si le développement de solutions passe uniquement par les actifs privés, des bulles peuvent se mettre en place avec des conséquences à long terme sur l’appétit des investisseurs. A contrario, les marchés listés sont capables d’absorber de gros montants. Les « green bonds » par exemple sont maintenant incontournables dans une allocation. Par ailleurs, le cadre prudentiel peut être aussi invalidant. En France par exemple, il existe des réglementations très restrictives sur l’exposition à certaines géographies. N’oublions pas que le financement de la transition passe aussi par des investissements dans les pays émergents. Il faut penser l’ensemble de la réglementation.

Aglaé Touchard Le Drian : Sur les pays émergents, le sujet relève de la perception du risque qui reste trop élevée pour beaucoup d’investisseurs institutionnels. D’ailleurs, il y a aussi un enjeu dans le débat entre les organismes de comptabilité et de normalisation à savoir l’IFRS Foundation et l’EFRAG pour les pays émergents avec la nécessité de ne pas mettre en place des mesures trop restrictives pour ne pas les pénaliser.

Caroline Le Meaux : Le qualificatif émergent est parfois utilisé à tort. De nombreux pays dits émergents possèdent un niveau de développement proche de celui des pays de l’OCDE. Le risque a évolué. Il faut trouver des instruments pour répondre à l’aversion aux risques des investisseurs institutionnels comme des garanties, qu’il s’agisse d’ailleurs des pays émergents ou de l’Europe. Nous n’avons pas encore trouvé d’instruments capables de générer de grands volumes à l’échelle industrielle. Certes, il existe la « blended finance » (co-investissement public et privé) mais elle ne suscite pas encore suffisamment de volumes d’investissement.

Hervé Guez : La mobilisation de capitaux publics serait dans ce cadre pertinente. Il serait plus utile pour la sphère publique d’intervenir en proposant des garanties afin de permettre à des acteurs privés de financer de grands projets plutôt que de mettre en œuvre une stratégie de saupoudrage. Par ailleurs, le climat et la biodiversité ne sont pas pensés dans la politique de l’épargne. On essaie de faire coexister une réglementation ambitieuse en Europe en direction des entreprises et du secteur financier avec une stratégie en matière d’allocation d’actifs de l’épargne qui l’est beaucoup moins. L’épargne privée en France s’intéresse surtout aux marchés américains. Certains mécanismes permettent aux épargnants de s’exposer à la tech américaine dans un PEA (plan d’épargne actions), mais il n’y a pas d’incitations spécifiques pour des investissements de long terme à impact. N’est-ce pas le rôle de la politique de l’épargne de favoriser les stratégies qui prennent en charge les risques systémiques ?

Hervé Guez, direction des gestions actions et taux chez Mirova

"Les besoins des investisseurs institutionnels sont les mêmes que ceux des particuliers. Avant de parler des indicateurs, il faut partager des objectifs. Le vrai sujet est de bien décrire l’objectif extra-financier des fonds à côté des objectifs financiers."

Hervé Guez a débuté sa carrière en 1997 et a occupé la fonction d’analyste crédit sur les marchés de capitaux dans différentes banques d’investissement, avant de rejoindre l’asset management et le groupe Natixis BPCE en 2007. En 2009, il constitue l’équipe de recherche en investissement responsable, dont il prend la direction et construit la philosophie. En 2012, Hervé participe à la création de Mirova, société de gestion du groupe Natixis BPCE entièrement dédiée à l’investissement responsable. En 2017, il prend la direction des investissements actions, taux et solidaire de Mirova ; et depuis septembre 2023, Hervé occupe le poste de global head of listed assets. Hervé Guez est titulaire d’un master en finance et banque de la Sorbonne, ainsi que de la SFAF et du CIIA.

Données clés Mirova

  • Philosophie d’investissement : Mirova est une société de gestion globale d’actifs dédiée à l’investissement durable et une filiale de Natixis Investment Managers. A la pointe de la finance durable depuis plus d’une décennie, Mirova développe des solutions d’investissement innovantes dans toutes les classes d’actifs, visant à combiner création de valeur à long terme avec un impact environnemental et social positif. C’est à travers une vision à long terme, qui prend en compte dans chaque décision d’investissement la pertinence du modèle d’affaires, la robustesse stratégique et financière de la société, ainsi que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG) que Mirova contribue à l’émergence d’une économie plus verte et durable. 

Quels sont les messages à faire passer auprès des investisseurs particuliers ?

Caroline Le Meaux : Il ne faut pas oublier que les épargnants investissent dans le cadre de projets de vie. Ils se préoccupent donc du risque et des rendements offerts afin d’atteindre cet objectif. Par ailleurs, les sujets de durabilité sont complexes à comprendre. Il faut mener des actions pédagogiques sur les produits comme nous avons pu le faire pour les institutionnels. Il est important d’aborder ce sujet et de le penser vis-à-vis des particuliers.

Carlos Araujo Blanco : Les réglementations sont complexes et les entreprises d’assurances comme d’autres acteurs financiers sont tenus d’expliquer le contenu de la taxonomie, les catégories d’investissement du règlement SFDR, les PAI (principal adverse impacts)… d’une façon succincte aux clients, ce qui relève d’un défi de pédagogie compte tenu de la nouveauté des concepts et des implications pour leurs portefeuilles.

Victoria Richard Weill : Il est important de faire comprendre aux épargnants que la protection de la biodiversité n’est pas accessoire et qu’ils pourront eux-mêmes constater les impacts directs et indirects pour eux et leur famille de la perte de biodiversité et du réchauffement climatique. Il est pour nous essentiel d’œuvrer à un travail collectif en faveur du climat et de la biodiversité sans pénaliser la performance.

L’analyse extra-financière doit être associée à l’analyse financière. Les clients ont trop souvent l’impression qu’ajouter des critères extra-financiers se fait au détriment de la performance, ce qui n’est pas forcément le cas. Une société qui gère l’ensemble de ses risques, qu’ils soient financiers ou extra-financiers, a selon nous plus de chances de perdurer dans le temps.

Renaud Serre-Lapergue : Vous évoquiez plus tôt la notion de transformation culturelle : en effet, il est essentiel d’apporter des réponses précises aux clients. Le discours doit être très pédagogique car les produits à impact sont souvent complexes. En tant qu’industrie, il est de notre responsabilité de concevoir des produits qui soient compréhensibles et efficients. Les enquêtes d’opinion le confirment : les particuliers manifestent un intérêt croissant pour des produits qui prennent en compte des considérations extra-financières et en particulier la transition écologique. Il nous faut aussi prendre conscience que certains produits durables proposés n’étaient pas suffisamment différenciants. Il est important de clarifier le positionnement des offres : distinguer les produits qui accompagnent la transition de ceux qui investissent directement dans des solutions concrètes. Cette distinction, bien expliquée, est parfaitement accessible aux particuliers.

Aglaé Touchard Le Drian : Nous devons parvenir à démontrer qu’il est possible de concilier la performance financière avec la performance extra-financière dans les produits qui s’adressent aux épargnants et aux investisseurs institutionnels. Aux Etats-Unis, les lois anti-ESG s’inscrivent dans le cadre de la responsabilité fiduciaire avec un angle exclusivement financier. L’analyse ESG est dans ce cadre perçue comme une entrave potentielle à la performance. En revanche en Europe, nous considérons que le fait de cibler les entreprises qui prennent en compte les enjeux de demain comme la transition agricole, la transition énergétique, la transition sociale, etc. et de les placer au cœur de la stratégie de l’entreprise peut rendre la performance plus résiliente sur le long terme et est au contraire un levier de performance. Nous ne possédons pas d’études qui confirment ou infirment cette vision, mais nous pouvons tout de même faire l’hypothèse que sur le long terme, l’ESG et le financier se renforcent mutuellement favorisant a minima une plus forte résilience et robustesse des modèles.

Comment structurer et rendre lisibles les différentes catégories de produits proposées par les sociétés de gestion en matière de climat et de biodiversité ?

Carlos Araujo Blanco : Il existe de nombreux types de produits avec des profils très différents. Tous les fonds durables ne sont en effet pas construits de la même façon. De plus, pour une même stratégie, les gérants peuvent avoir des définitions différentes. La nouvelle réglementation sur le nom des fonds de l’ESMA devrait offrir plus de clarté. Elle introduit des exigences pour les sociétés de gestion afin que certaines exclusions minimales soient respectées pour avoir le droit d’utiliser des dénominations comme « durable », « verte », « social » et « impact », entre autres.

Caroline Le Meaux : Il est important que les gérants puissent conserver un certain degré de liberté afin que les offres soient diversifiées et que le client final ait suffisamment de choix, et surtout afin d’éviter les bulles. Pour mener la transition, il faut une grande diversité de produits.

Hervé Guez : En termes de stratégies d’offre, elles sont de plusieurs ordres. Il est possible de distinguer les produits cotés et non cotés. Les deuxièmes abordent le financement de la biodiversité avec des focus sur l’agroécologie, des approches locales etc., tandis que les fonds cotés prennent en compte un mixte considérant le climat et la biodiversité de façon plus large. Les fonds cotés peuvent s’inscrire dans une logique d’intégration considérant que le climat et la biodiversité vont impacter les modèles économiques. Les gérants peuvent dans ce cadre considérer que tous leurs produits prennent en compte une dimension environnementale. Il existe aussi des approches qui cherchent à capter la transformation, elle consiste à sélectionner des valeurs qui commencent à peine cette intégration et vont en bénéficier. Il est enfin possible de se limiter au dialogue. Par ailleurs, il existe une autre catégorie de fonds dans l’univers des titres cotés comme dans le non-coté qui vont aller chercher des entreprises plus petites, mais qui développent des solutions. Ces différentes approches n’étant, bien entendu, pas exclusives les unes des autres. Le narratif lié aux fonds étant très variable, nous devrions construire une architecture qui permette de rendre lisibles les différents couples risque/rendement associés à chaque type de produits. La catégorisation est importante pour les investisseurs.

Renaud Serre-Lapergue : La réforme du règlement SFDR va probablement proposer de nouvelles classifications. Le régulateur a compris le besoin d’avoir une meilleure lisibilité sur la durabilité des stratégies d’investissement. Les fonds devraient dorénavant être classés selon qu’ils font simplement de l’intégration, financent la transition ou se positionnent sur les solutions. Ces trois catégories sont complémentaires et essentielles pour accompagner la transition écologique. Le financement des solutions, en particulier, joue un rôle central. De nombreuses start-up se lancent sur ce créneau et proposent des produits innovants en s’appuyant sur les fonds de capital-investissement pour se développer. Les gérants sont aussi là pour accompagner les transformations et cela passe – quelles que soient les méthodologies retenues – par les deux autres catégories de fonds et par l’élaboration d’indicateurs clés qui permettent de démontrer nos actions. Ces indicateurs doivent être significatifs et pouvoir être évalués dans le temps afin de mesurer l’action menée. Il est possible, dans ce cadre, de démontrer comment une stratégie surperforme en limitant les pressions sur la biodiversité ou en réduisant les émissions de carbone par rapport à la moyenne d’un secteur. Ce type d’éléments de preuve est désormais attendu par les clients, et il est de notre responsabilité de leur fournir ces éléments tangibles.

Les plans de transition sont-ils aujourd’hui de véritables outils de transformation stratégique pour les entreprises et les investisseurs ?

Aglaé Touchard Le Drian : Au-delà des indicateurs et des cadres d’analyse de référence qui évoluent, il faut parvenir à embarquer les entreprises dans les plans de transition. Cela relève d’un enjeu de gouvernance. En ce qui nous concerne, les équipes gérant le fonds à impact ont une part de leur rémunération qui est liée aux critères extra-financiers et nous essayons aussi de faire en sorte que la rémunération des entrepreneurs que nous accompagnons soit conditionnée à ces mêmes critères extra-financiers. Tout le monde comprend l’intérêt de s’inscrire dans une trajectoire vertueuse qui doit devenir pour l’entrepreneur une source de création de valeur. Par ailleurs, il faut mettre en place des process tout au long du cycle d’investissement qui soient crédibles et transparents afin de pouvoir comparer les données.

Carlos Araujo Blanco : Nous travaillons en trois étapes. La première consiste à se délester des titres des entreprises qui ne sont pas alignées avec nos politiques internes sur des sujets comme la production d’électricité (à travers du charbon), ou à notre politique sur le pétrole et le gaz. La deuxième vise à accompagner les entreprises dans la transition, d’où l’importance de mener des actions d’engagement auprès des entreprises afin d’identifier avec elles les points d’amélioration. A ce titre, nous avons rejoint des initiatives sur le thème de la biodiversité comme Nature Action 100 (NA100) ou UN Spring. Enfin, nous cherchons à financer des solutions à travers des fonds qui ciblent des entreprises innovatrices en faveur du climat ou de la protection de la biodiversité. Les trois actions doivent être menées de concert afin d’avancer sur le chemin de la transition.

Renaud Serre-Lapergue, directeur de la stratégie finance durable de SWEN Capital Partners

"La réforme du règlement SFDR va probablement proposer de nouvelles classifications. Le régulateur a compris le besoin d’avoir une meilleure lisibilité sur la durabilité des stratégies d’investissement."

Renaud pilote le déploiement de la stratégie finance durable de SWEN CP des investissements directs et indirects de l’ensemble des gammes d’investissment de SWEN CP. Il encadre une équipe d’analystes Finance Durable dédiés qui œuvrent à la déclinaison des engagements de SWEN CP dans les produits et services du groupe. Renaud a une formation littéraire puis en école de gestion à Bordeaux et au Québec. Son engagement professionnel au service d’une finance réellement durable remonte à plus d’une dizaine d’années, d’abord comme consultant puis au sein de SWEN CP depuis 2016.

Données clés SWEN Capital Partners

  • Effectifs dans l’expertise et % par rapport aux effectifs globaux : 10 personnes/8,3% de l’effectif global (120 collaborateurs au total).
  • Encours dans l’expertise et % par rapport aux encours globaux : N/A – non pas une stratégie d’investissement mais une fonction transverse
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : SWEN Capital Partners fonde sa philosophie d’investissement sur une approche durable, responsable et engagée dans l’univers du non-coté. Elle intègre de façon systématique les critères ESG dans ses décisions d’investissement et privilégie des participations qui accompagnent la transition énergétique, favorisent l’économie à impact et visent une création de valeur durable à long terme. SWEN CP se distingue par son engagement à mesurer l’impact extra-financier, à dialoguer activement avec les parties prenantes et à innover en matière de finance responsable.

Les dernières assemblées générales de 2025 ont été moins focalisées que lors des années précédentes sur les plans de transition, le sujet du climat est -il toujours d’actualité ?

Victoria Richard Weill : L’engagement est crucial, et encore plus pour les fonds à thématiques durables. Les données pouvant être insuffisantes, il est primordial pour nous d’aller dialoguer avec les entreprises. Notre équipe d’engagement participe à des initiatives de place, mais mène aussi des engagements spécifiques sur des thématiques précises (la pollution plastique par exemple ou encore la gestion de l’eau). Les équipes de gestion comme celle de notre fonds axé sur la biodiversité peuvent également être impliquées. Ainsi nous évoquons régulièrement le climat et la biodiversité lorsque nous rencontrons une société. Il est important que nous insistions à chaque fois sur ces sujets auprès des entreprises afin de les convaincre de mettre en œuvre et/ou de progresser dans les plans de transition. Cela doit entrer dans le quotidien des investisseurs.

Caroline Le Meaux : Il faut distinguer le vote en assemblées générales et l’engagement. Ce dernier constitue un dialogue entre le gérant et l’entreprise, il n’est pas public. Il permet d’identifier des leviers d’amélioration des entreprises et de les faire progresser. Nous intervenons auprès de différentes entreprises d’un même secteur et à ce titre, nous pouvons diffuser des bonnes pratiques. Nous pouvons donner des idées nouvelles aux entreprises. Il faut parvenir à démontrer aux chefs d’entreprise dans quelle mesure travailler sur le climat et la biodiversité peut permettre à leur entreprise d’être plus résiliente.

Victoria Richard Weill : Il y a de l’intérêt de la part des sociétés pour engager un dialogue, elles peuvent ainsi détailler de bonnes pratiques parfois méconnues et peuvent progresser grâce à ces discussions.

Caroline Le Meaux : Ce sujet n’est pas seulement européen. Des entreprises asiatiques voire aussi américaines accélèrent et sont ouvertes à la discussion.

Victoria Richard Weill : En effet, les Etats-Unis abordent ce sujet sous l’angle du risque, de la dépendance. Typiquement, les sociétés du secteur agroalimentaire, qui dépendent de la santé des sols, vont être plus actives que les autres dans ce domaine.

Les instruments de financement sont-ils équivalents pour financer la transition ?

Hervé Guez : Les acteurs qui apportent des capitaux au moment de la création d’une start-up ont l’impression d’être les plus catalytiques dans le projet. A l’inverse, dans le cadre du financement d’une très grande entreprise, l’additionnalité est plutôt limitée. Pour autant, dans une logique de transformation et de réflexion qui vise à mieux aligner les intérêts, l’impact peut être réel, y compris sur des produits mass market.

Aglaé Touchard Le Drian : Le levier de transformation est sans doute plus fort dans le non coté, où en siégeant aux instances de gouvernance l’on peut influer sur la trajectoire de l’entreprise. L’additionnalité de l’investisseur peut ainsi être plus directement mis en avant que dans le côté. Nous avons par exemple investi dans M2i Life Sciences, une entreprise proposant une alternative naturelle de biocontrôle aux insecticides chimiques à travers une solution de diffusion des phéromones. Pour mettre en évidence les impacts positifs sur la biodiversité, nous suivons un certain nombre d’indicateurs, dont : les tonnes d’insecticides évitées ou le nombre d’espèces invasives traitées… Nous avons également investi dans Morfo (RAISE Ventures), une entreprise développant des innovations de pointe combinant des connaissances microbiologiques, agronomiques, botaniques et forestières afin de restaurer les écosystèmes tropicaux. Les indicateurs biodiversité spécifiques suivis sont notamment : le nombre d’espèces locales dans leur catalogue et le nombre d’hectares de zones reboisées… Mais le passage à l’échelle est davantage présent avec l’investissement dans les entreprises cotées. Par ailleurs, il existe également des instruments de dettes intéressants comme les green bonds et sustainability linkeds bonds qui permettent de promouvoir les enjeux de durabilité.

Carlos Araujo Blanco : Nous essayons toujours de privilégier des produits à travers lesquels il est possible de mesurer concrètement l’impact. Nous investissons à ce titre dans la dette privée et dans le capital-investissement. Nous monitorons dans ce cadre nos deux poches impact et biodiversité dont l’encours s’élève maintenant à plus de 300 millions d’euros d’investissement. Les fonds sélectionnés font l’objet d’une évaluation dédié a l’impact avant d’être acceptés. Nous investissons par ailleurs dans les obligations vertes à hauteur de 3,6 milliards d’euros. En revanche, sur les actions cotées, il est plus difficile de mesurer l’impact direct, même si les entreprises jouent un rôle fondamental dans la transition écologique.

Que pensez-vous des crédits biodiversité et des crédits carbone ?

Aglaé Touchard Le Drian : Ces crédits peuvent être intéressants pour mettre en valeur la contribution à des solutions positives, mais ils ne doivent pas constituer un permis de polluer. C’est la limite de cet exercice. Si cela constitue un plus pour financer la transition, c’est toujours positif. Mais il faut un cadre transparent. Par ailleurs, ces crédits semblent plus pertinents pour le carbone que pour la biodiversité qui est beaucoup plus complexe. Il est en effet difficile de mettre un prix sur la nature mais il est nécessaire d’y associer une responsabilité des acteurs.

Caroline Le Meaux : Dans certaines régions du monde, ils sont utilisés pour lutter contre la déforestation.

Hervé Guez : Nous préférons investir dans des entreprises qui vont bénéficier de ces crédits, car cela va renforcer leur impact et leur modèle économique, que de faire de ces crédits des instruments financiers déconnectés de la réalité économique. Il y a aussi eu des débats intéressants sur la taxe carbone aux frontières. Toutes les mesures qui peuvent aller dans le sens de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la perte de la biodiversité en donnant un prix à ces externalités sont plutôt positives. La question ensuite est de savoir comment organiser ce type de système dans une économie ouverte. Quant à la création d’un marché du carbone, il est conditionné à l’existence d’une gouvernance mondiale ; à défaut, il ne peut devenir qu’un instrument spéculatif. Un marché doit exister mais il faut résister à une financiarisation de celui-ci.

Caroline Le Meaux : Les entreprises peuvent déjà tester la résilience de leur business model en utilisant un prix théorique.

Renaud Serre-Lapergue : Il existe des zones qui doivent être préservées ou renaturées et peut-être que les certificats biodiversité peuvent représenter un levier pour cela. S’il y a des entreprises qui veulent acheter ces certificats, cela constitue une dynamique positive ; toutefois, il est essentiel de veiller à ce que ces dispositifs ne mènent pas à une logique de pure financiarisation.

Carlos Araujo Blanco, directeur de l’investissement durable et conformité à l’unité Investissements d’Allianz France depuis 2023

"Aujourd’hui, nous ne nous limitons plus à proposer seulement des fonds durables ou vertueux dans le cadre des contrats d’assurance-vie, nous devons aussi interroger les clients sur leur appétit pour les fonds durables et sur le pourcentage qu’ils veulent allouer à ces fonds dans leur contrat."

Carlos Araujo Blanco commence sa carrière en tant qu’auditeur pour l’ONG Transparency International (Venezuela), puis assistant commercial à l’ambassade de Turquie à Caracas avant de devenir consultant au Groupe des 77 aux Nations unies (coalition de pays en développement pour la coopération économique et politique au sein de Nations unies) en 2012, et chercheur pour le cabinet de conseil sur l’environnement BiPRO GmbH en Allemagne en 2013. Il entre ensuite chez Vigeo Eiris à Paris en 2015 où il occupe successivement les fonctions d’analyste ESG, de consultant et de chef de projet sur des programmes d’émission d’obligations vertes. En 2019, il rejoint Allianz France en tant qu’analyste ESG senior au sein de l’unité Investissements. Entre 2019 et 2023, il était également professeur vacataire de sustainability strategies and practices à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Universidad Metropolitana (Caracas, Venezuela).

  • Encours sous gestion : fonds en euros environ 65 milliards d’euros et 25 milliards d’euros en unité de compte, plus de 5 millions de clients en France. Nos portefeuilles les plus importants en termes d’encours ont une répartition majoritairement en obligations d’entreprises et d’états (environ 80%), suivi par le Real Estate, les Alternatives et les Actions d’entreprises.
  • Philosophie d’investissement sur le climat et la biodiversité en quelques mots : diriger nos actifs vers des actifs plus durables : favoriser la transition énergétique et réaliser des efforts pour financer la protection de la biodiversité et créer des impacts positifs et mesurables pour la société.

Faut-il toujours combiner climat et biodiversité dans les stratégies d’investissement ou traiter ces enjeux de façon différenciée ?

Victoria Richard Weill : Le changement climatique est la troisième pression qui pèse sur la biodiversité, donc les deux thèmes sont forcément liés. Certains thèmes d’investissement comme la circularité (y compris le recyclage) permettent de lutter contre le changement climatique, mais également contre d’autres pressions qui pèsent sur la biodiversité (comme la surexploitation des ressources par exemple).

Hervé Guez : Il est possible de construire un fonds orienté uniquement sur les solutions climatiques et il pourrait même être négatif en matière de biodiversité. Prenons l’exemple

caricatural du panneau solaire avec des composants chimiques. Le climat peut être déconnecté de la biodiversité bien que, d’un point de vue pratique, cette dernière puisse atténuer le risque climatique. De la même manière, il est possible de faire un fonds sur la biodiversité sans investir dans le climat. Mais généralement, les fonds biodiversité laissent une place aux solutions climatiques à condition d’éviter la mal-adaptation, c’est-à-dire celles qui ont un impact négatif sur la biodiversité. Il peut y avoir aussi des fonds sur l’environnement au sens large, des fonds climat qui cherchent à régénérer les sols et sont donc positifs sur la biodiversité ou enfin des fonds biodiversité avec un angle climat.

Renaud Serre-Lapergue : Les investissements présentant des co-bénéfices sur le climat et les autres facteurs d’érosion de la biodiversité restent néanmoins difficiles à appréhender de manière globale, notamment en matière de pilotage de la performance. Il faut arriver à établir dans quelle mesure les impacts positifs sur le climat ou la biodiversité sont pertinents et suffisants au regard des enjeux sectoriels.

Carlos Araujo Blanco : La taxonomie définie par l’Union européenne aborde ce problème, même si elle n’est pas exhaustive. Les entreprises qui contribuent à l’objectif d’atténuation du changement climatique doivent aussi respecter les critères de DNSH (do no significant harm) pour l’objectif de protection de biodiversité afin d’aligner certaines de leurs activités économiques. La taxonomie constitue un cadre globalement accepté et permet d’identifier les sociétés mieux-disantes. Cela est plus difficile pour le non-coté, où les données sont rarement disponibles pour les entreprises de petite taille. Il est aussi important de souligner que la taxonomie soulève des débats ; par exemple, il peut arriver qu’une entreprise à faible émission de GES puisse être moins bien considérée qu’une entreprise du secteur de l’énergie qui obtient une partie de ses revenus de la génération d’électricité éolienne ! Nonobstant ces débats, la taxonomie constitue un bon outil en tant que référentiel pour mener nos processus de due diligence.

Quels sont les besoins d’informations de vos clients institutionnels ?

Victoria Richard Weill : Les investisseurs institutionnels souhaitent pouvoir s’appuyer sur des informations précises, quantifiables, et dont ils peuvent suivre la trajectoire dans le temps. Dans le cadre des reportings, nous attachons une importance particulière à la pédagogie de manière à ne pas trop simplifier le message, mais en veillant à le rendre lisible. Pour notre fonds axé sur la thématique de la biodiversité, nous avons fait le choix de retenir plusieurs indicateurs clés en matière de biodiversité (consommation d’eau, gestion des déchets, émissions de carbone…) et de les suivre dans le temps. Afin d’être en mesure de comparer les sociétés entre elles, nous avons également bâti un modèle de score propriétaire qui permet d’analyser la gestion des impacts négatifs sur la biodiversité.

Aglaé Touchard Le Drian : L’un des enjeux importants pour les institutionnels réside dans la comparabilité des reportings, dans l’agrégation et la transparence des données. Un bon reporting doit aussi reposer sur des données transparentes, fiables et auditées. Leur objectif est de devenir des outils de gestion de la performance sur la durée pour les entreprises et démontrer l’impact créé pour les investisseurs.

Renaud Serre-Lapergue : Les fonds à impact s’appuient sur des indicateurs d’impact qui sont suivis dans la durée. En matière de biodiversité, les indicateurs que nous utilisons, chez SWEN CP, sont construits pour répondre aux différentes pressions exercées sur la nature en tenant compte des contextes propres à chaque activité. Afin de garantir la robustesse de notre démarche, nous avons mis en place un comité d’impact qui vient challenger les objectifs fixés. Ces derniers sont pris en compte dans la politique incitative de la société en matière de rémunération des gérants et des dirigeants des entreprises accompagnées. Certains de nos investisseurs siègent directement à ces comités d’impact. En parallèle, les investisseurs institutionnels expriment un besoin croissant de transparence sur les investissements délégués, notamment pour répondre à leurs propres obligations de reporting dans le cadre de l’article 29 de la loi Energie-climat.

Hervé Guez : Les besoins des investisseurs institutionnels sont les mêmes que ceux des particuliers. Avant de parler des indicateurs, il faut partager des objectifs. Le vrai sujet est de bien décrire l’objectif extra-financier des fonds à côté des objectifs financiers. Les indicateurs découlent des objectifs et permettent d’évaluer cet objectif extra-financier.

Les initiatives de place permettent-elles d’harmoniser les méthodes de travail ?

Aglaé Touchard Le Drian : Elles sont très utiles pour accélérer les levées de fonds sur des enjeux stratégiques et permettent de structurer les méthodologies et favoriser le développement d’un écosystème.

Caroline Le Meaux : Elles sont positives, mais elles ne doivent pas se limiter à la place de Paris. L’Europe réfléchit d’ailleurs à ce sujet.

Hervé Guez : Il s’agit de faire comprendre que la biodiversité est bien un sujet systémique comme celui du climat. Cette initiative permet de mobiliser des experts de façon collaborative, mais elle n’a pas vocation à être exclusive.

Carlos Araujo Blanco : Concernant l’initiative des fonds de place biodiversité, les investisseurs institutionnels se sont réunis, ils ont discuté ensemble de leurs besoins. Cela a permis d’établir un cahier des charges commun, qui permet la comparabilité des sociétés de gestion qui ont répondu en grand nombre à l’appel d’offres. Ces initiatives aident à partager les bonnes pratiques du marché et à financer des solutions de manière concertée.

Dossier spécial

DOSSIER SPÉCIAL

Les 50 sociétés de gestion qui comptent - Sélection 2025

La grande majorité des acteurs présents dans l’édition 2025 ont réalisé, l’an dernier, une collecte…

La rédaction de Funds Magazine et d'Option Finance 26/05/2025

A lire aussi

DOSSIER SPÉCIAL

Les 10 sociétés de gestion à suivre

Outre la sélection des 50 sociétés de gestion qui comptent, l’examen des questionnaires reçus cette…

Catherine Rekik FUNDS 27/05/2024

PAROLE D’EXPERT

Investissement durable : l'heure de la convergence

En 2021, Société Générale Securities Services (SGSS) a mené une enquête auprès d’acteurs clés de la…

Société Générale Securities Services (SGSS) FUNDS 27/05/2024

PAROLE D’EXPERT

Premium Private assets : 2024, l’année du PER ?

La France fait partie des pays où le taux d’épargne est le plus élevé, 15 % en moyenne depuis 2000…

Willkie Farr & Gallagher LL FUNDS 27/05/2024

Dossier spécial

Les 50 sociétés de gestion qui comptent - Sélection 2023

Chaque année, Option Finance et Funds Magazine, en partenariat avec Deloitte, sélectionnent 50…

Dossier réalisé par les rédactions d’Option Finance et de Funds Magazine OPTION FINANCE 02/05/2023

L'info asset en continu

Voir plus

Nominations

Voir plus

Dans la même rubrique

Abonnés Actions européennes : vers un rebond durable ?

Longtemps boudées au profit des valeurs américaines, les actions européennes retrouvent enfin les...

Abonnés Union des marchés de capitaux : l’Europe franchit de nouvelles étapes

Face au désengagement des Etats-Unis, l’Union européenne relance avec volontarisme son projet...

Marchés : avantage aux actions européennes

Le premier semestre a été marqué par un afflux des investisseurs internationaux sur les marchés...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…