Adieu à la politique macroéconomique européenne
A la fin du mois, une conférence sera organisée ici même à Harvard, qui traitera dans sa session finale de la question «Le surplus de la balance courante allemande : le nouveau déséquilibre dont il faut s’inquiéter». La thèse sous-jacente est que si les entreprises allemandes sont hypercompétitives, les revenus des salariés ne reflètent pas la hausse de la production et ne peuvent donc entraîner une hausse de la consommation, une situation comparable à celle des Néerlandais, des Suisses ou encore des Scandinaves.
Le sujet ne présente pas seulement un intérêt académique. La Commission européenne vient en effet de publier récemment son rapport sur les risques de déséquilibres macroéconomiques des pays membres de l’Union européenne (dans le cadre de la procédure MIP ou Macroeconomic Imbalance Procedure). Classant les risques sur une échelle de six niveaux, il place l’Allemagne au niveau 3, estimant qu’elle est «dans une situation déséquilibrée qui nécessite des actions politiques décisives ainsi qu’un suivi précis» et que ses réponses politiques pour faire face aux problèmes sont «insuffisantes».
Dès lors, que faire ?
Rappelons d’abord les faits. En 2014, la balance courante outre-Rhin s’élevait à 215 milliards d’euros (7,5 % du PIB), soit un peu plus qu’avant la GCF (la grande crise financière de 2007) – et elle devrait encore augmenter cette année. Cette performance n’est pas la bienvenue dans le reste de l’économie mondiale. Le surplus allemand (mais aussi néerlandais, etc.) n’est en effet plus absorbé dans la zone euro car les consommateurs/débiteurs d’antan sont surendettés. En particulier, les pays sous surveillance de la troïka (la Grèce, l’Espagne, le Portugal) ont énormément réduit leurs déficits, notamment par des dévaluations internes – c’est-à-dire par la réduction des salaires – substantielles. Par conséquent, les demandeurs en dernier ressort sont – de nouveau et comme souvent – essentiellement les Américains.
Cela explique pourquoi le sujet des «imbalances» est devenu brûlant de ce côté-ci de l’Atlantique. L’Allemagne est en train de devenir dans les débats publics – ainsi que dans les réunions du G20 – la nouvelle Chine. Il est toutefois difficile d’accuser Berlin/Francfort de «manipulation de change». D’abord parce que la Bundesbank n’est responsable qu’à hauteur de 1/19e de la politique monétaire européenne. Ensuite parce qu’à l’époque où elle était sérieusement indépendante de Bonn, elle n’était pas la seule à se réjouir d’un Deutsche Mark fort. La population allemande, comme les populations néerlandaise ou autrichienne, a toujours estimé qu’il fallait une monnaie forte car cela donnait «un coup de fouet à la productivité».
Que faire maintenant ? Augmenter la demande interne dans l’Allemagne ! Mais comment ? Avec des salaires plus dynamiques et davantage d’investissements, en particulier dans l’infrastructure publique. Nous en avons besoin : en deux décennies environ, l’Allemagne a vu ses investissements nets publics devenir négatifs (même si la situation reste incomparablement meilleure qu’ici, outre-Atlantique).
Depuis quelque temps, les choses bougent. Les salaires, reflétant des tensions sur les marchés de travail, augmentent. Et récemment, Berlin a annoncé 5 milliards d’euros de plus pour les collectivités locales – qui assurent 60 % des investissements publics. Cependant, dans une économie de plus d’environ 3 000 milliards d’euros, cette annonce laisse un goût de «too less, too little, too late».
Mais faire plus encore est difficile car si ce raisonnement macroéconomique est bien compris ici à Cambridge (ou à Paris), il ne trouve aucun écho à Berlin. L’idée de relâcher les efforts de rigueur budgétaire est perçue comme bizarre. L’Allemagne se voit comme modèle, un exemple à suivre par les autres pays européens. C’est probablement le cas, du moins dans une certaine mesure, car il est difficile de critiquer la recherche de la productivité.
Néanmoins, même si tous les pays se portaient comme le Bade-Wurtemberg (dont la balance courante dégage encore plus d’excédents que celle de l’Allemagne), il serait illusoire de croire que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les surplus de certains pays supposent que d’autres accumulent des déficits, même si cet argument ne porte pas dans le monde berlinois.
Avant l’euro, de telles divergences fondamentales d’approche entre les Etats-Unis et l’Allemagne étaient toujours gérées par le taux de change : le dollar se dépréciait. Cette option n’existe plus dans l’Eurozone, où la vie est devenue plus dure pour les débiteurs.
Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University
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