Le défi trumpiste

Publié le 14 février 2025 à 16h04

Hans-Helmut Kotz    Temps de lecture 5 minutes

Au cours de son premier mois de présidence, le nouveau président américain a lancé une avalanche d’annonces et de décrets. Il y en a tellement et dans des domaines politiques si variés qu’il est difficile de suivre le rythme. C’est pourquoi le Wall Street Journal a mis au point le 12 février un Trump Tracker. Toute une série de ces décrets semble dépasser les pouvoirs de la nouvelle administration. Certains font déjà l’objet de recours auprès de la justice. Il en va de même pour les interventions brutales du DOGE (Department of Government Efficiency) dirigé par Elon Musk (« réduction » du programme de développement USAID, coupes drastiques dans le budget de recherche de l’Institut national de la santé, de la Fondation nationale des sciences, etc.).

Il ne s’agit pas seulement de défis internes aux Etats-Unis. Les changements à venir dans la politique ukrainienne, que le ministre de la Défense vient d’esquisser, ont de graves conséquences pour l’Europe. Ils concernent les budgets publics, leur structure et leur ampleur. Il en va de même pour la politique commerciale des Etats-Unis qui, comme tant d’autres politiques de la nouvelle administration (énergie, changement climatique, régulation des marchés financiers et tout ce qui concerne la diversité, l’équité et l’inclusion), suit un modèle rétrograde, avec pour objectif le retour à un monde antérieur, celui du XIXe siècle. Dans le cas du commerce, il s’agit d’échapper à ces règles multilatérales qui entravent injustement les Etats-Unis, sapant leur prospérité.

«Les recettes douanières ne suffiront pas à compenser les pertes des entreprises et des consommateurs, même pour un grand pays comme les Etats-Unis, qui peut exercer une influence sur les prix mondiaux.»

Pour y arriver, le président Trump a annoncé jeudi dernier qu’il a chargé son administration de déterminer pour chaque partenaire commercial des « droits de douane réciproques », dont les montants doivent correspondre exactement à ceux auxquels les exportateurs américains sont exposés. Les barrières non tarifaires, telles que la TVA ou les subventions, devraient également être prises en compte. Cela touchera surtout négativement les pays émergents. Mais l’Union européenne (UE) devra également faire face à un ralentissement de ses exportations et de son PIB.

L’opinion publique américaine est largement d’accord avec cette approche. Fermer les barrières devrait réduire la dépendance à l’extérieur. Cela devrait également être bon pour l’emploi et pour les revenus de la middle class. Comme les avantages de l’ouverture ont été répartis de manière très inégale pendant trop longtemps, les Américains sont devenus très sceptiques quant aux promesses de bien-être des libre-échangistes. Cela est aussi dû au fait qu’aux Etats-Unis, les perdants de la mondialisation, qui sont concentrés dans quelques régions ayant subi de plein fouet le « choc chinois », n’ont été que très insuffisamment soutenus.

La réponse de Trump est désormais l’isolement par les droits de douane. Toutefois, dresser des barrières commerciales risque de se retourner contre lui. L’isolement ne sera pas splendide. Des taxes plus élevées sur les importations favorisent certes les entreprises nationales plus protégées (et leurs salariés). Mais elles augmentent également les coûts pour les acheteurs nationaux de biens importés, ce qui pèse sur les budgets des consommateurs et des entreprises. Le niveau des prix augmente, le pouvoir d’achat diminue. De plus, comme les droits de douane s’appliquent également aux produits intermédiaires, ils risquent de détruire les chaînes de valeur transfrontalières – par exemple entre le Canada et les Etats-Unis. Parallèlement, pour l’Etat, les recettes douanières ne suffiront pas à compenser les pertes des entreprises et des consommateurs, même pour un grand pays comme les Etats-Unis, qui peut exercer une influence sur les prix mondiaux. C’est particulièrement vrai si les partenaires commerciaux, frappés par les droits de douane, ripostent.

Et c’est ce qui se passe avec les taxes sur l’acier et l’aluminium qui viennent d’être annoncées. Le Canada et l’UE ont déjà annoncé des réactions correspondantes – tit-for-tat (ils l’avaient fait auparavant pour les taxes Trump de 2018-2019). De même, la Chine a immédiatement réagi. En outre, les droits de douane renforcent le dollar. En conséquence, ils rendent les exportateurs américains moins compétitifs et en même temps les importations vers les Etats-Unis moins chères. Finalement, ils ne devraient pas avoir d’impact sur le niveau du déficit de la balance commerciale américaine.

Or, depuis longtemps, le diagnostic de Donald Trump est que les pays qui dégagent un excédent commercial bilatéral avec les Etats-Unis le font de manière déloyale. Dès lors si, malgré tout, les déficits restent inchangés, il pourrait être tenté de redoubler d’efforts en augmentant encore les droits de douane. A moins qu’il n’exige que l’Europe réponde à ses souhaits d’une autre manière, en achetant, comme il l’a évoqué, plus de matières premières énergétiques (gaz naturel, pétrole) et plus de matériel militaire américain pour soutenir l’Ukraine.

Cela nous amène directement aux budgets publics européens. Ceux-ci présentent des déficits primaires (hors dépenses liées au remboursement des intérêts) considérables. Pour certains, ils sont à la limite du soutenable. On ne peut pas avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre. Faire des choix est devenu inévitable, alors même que les gouvernements ne parviennent pas à fournir ce qu’une grande partie de la population attend d’eux. Un vrai défi pour nos démocraties européennes.

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est visiting professor of Economics au Center for European Studies, Harvard University

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