Défaillances d’entreprises : jusqu’ici, tout allait bien

Publié le 26 mai 2023 à 15h36

Bruno De Moura Fernandes    Temps de lecture 4 minutes

Les derniers chiffres de croissance du PIB en France et en Europe ont confirmé que le spectre de la récession s’était éloigné, du moins pour le moment. En parallèle, nous avons eu également la confirmation que les tensions inflationnistes se sont diffusées à l’ensemble des biens et des services. Dans ce contexte, le dilemme des banques centrales se précise et renvoie à leur mission originelle : assurer la stabilité des prix et la stabilité financière. Le principal challenge, désormais, est lié aux délais de transmission des politiques monétaires à l’économie réelle, qui complexifie l’évaluation de l’impact des hausses de taux inédites intervenues depuis l’an dernier.

Cette question des effets du resserrement monétaire doit être au centre des préoccupations actuelles et a été rendue d’autant plus prégnante par les récentes turbulences au sein du secteur bancaire américain. Si les banques européennes semblent plus solides, ces tumultes suscitent des préoccupations légitimes quant au resserrement du crédit qui est déjà largement visible dans l’enquête réalisée par la Banque centrale européenne (BCE). Ainsi, alors même que la majorité des banques françaises avaient durci leurs conditions d’octroi de crédits aux entreprises au dernier trimestre 2022, une majorité d’entre elles ont resserré encore davantage leurs conditions au premier trimestre 2023. Il faut remonter à 2011 – en pleine crise de la dette souveraine – pour trouver la trace d’un tel resserrement cumulé du crédit sur deux trimestres. A ce durcissement des conditions de crédit s’est ajoutée une baisse de la demande de la part des entreprises au premier trimestre. Celle-ci avait été jusqu’alors résiliente, contrairement à la demande de crédits immobiliers de la part des ménages. Le flux net de nouveaux prêts bancaires aux entreprises s’est ainsi élevé à seulement 1,8 milliard d’euros sur les trois premiers mois de l’année en France, contre 28 milliards d’euros en moyenne par trimestre en 2022.

Malgré ce risque de fermeture progressive du robinet du crédit, l’inflation menace de rester durablement au-dessus de la cible de 2 % de la BCE, et cette dernière sera donc probablement contrainte de procéder à de nouvelles hausses lors de ses deux prochaines réunions, puis de les maintenir à ce niveau restrictif pendant au moins un an. Si le taux d’intérêt moyen sur les nouveaux prêts aux entreprises s’élevait déjà à 3,8 % en France en mars dernier, contre 3,2 % au pic de la crise de la dette souveraine en zone euro, les entreprises continueront donc de fait à être confrontées à un environnement adverse de renchérissement et de durcissement des conditions d’octroi de crédit au cours des prochains trimestres, tout en faisant face à une demande domestique atone. Il faut en effet rappeler que si l’économie française a évité la récession cet hiver, la consommation des ménages a stagné au premier trimestre 2023 après avoir reculé de 1 % lors du trimestre précédent.

Sans surprise, cette dégradation de l’environnement économique s’est traduite par une augmentation des défaillances d’entreprises dans la majorité des économies avancées depuis le début de l’année. En Allemagne et aux Etats-Unis, bien qu’elles restent toujours inférieures à 2019, les défaillances ont progressé de respectivement 20 % et 33 % par rapport aux premiers mois de l’année 2022. Au Royaume-Uni, les défaillances sont reparties à la hausse dès le retrait des mesures de soutien fin 2021, continuent d’augmenter (+ 7 %), et concernent des entreprises de plus grande taille. La France ne fait pas figure d’exception : les défaillances ont crû de 43 % par rapport au premier trimestre 2022, pour s’établir au même niveau que début 2019. S’il convient de souligner que les créations d’entreprises ont progressé depuis, et donc que le taux de défaillances est toujours légèrement inférieur à 2019, les défaillances concernent aujourd’hui des entreprises de plus grande taille. Par conséquent, leur coût financier est désormais significatif : pas moins de 1,1 milliard d’euros de dettes fournisseurs ont été concernées par des défaillances au premier trimestre 2023. C’est une hausse de 30 % par rapport à 2019, et le montant est le plus élevé depuis 2016. Les marges de manœuvre des entreprises les plus fragiles s’étiolant, Coface anticipe une poursuite, voire une amplification de ces défaillances au cours des prochains trimestres.

Bruno De Moura Fernandes Responsable de la recherche macroéconomique ,  Coface

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