Disparition généralisée de l’efficacité des politiques monétaires ?
La modestie de la reprise économique mondiale malgré le caractère extrêmement expansionniste des politiques monétaires dans beaucoup de pays semble montrer une faible efficacité des politiques monétaires. Elle est très gênante, bien sûr, puisqu’en même temps les politiques budgétaires ne sont plus utilisables avec le niveau très élevé des endettements publics. La perte apparemment importante d’efficacité des politiques monétaires a deux causes probables. D’abord le niveau élevé des taux d’endettement des agents économiques privés, qui implique que les politiques monétaires très expansionnistes ne font plus repartir le crédit ; la politique monétaire expansionniste utilise alors le canal de la hausse des prix des actifs et des effets de richesse, qui est nettement moins efficace que le canal du crédit.
Ensuite le fait que les politiques monétaires très expansionnistes génèrent des inquiétudes qui réduisent son efficacité, puisque les agents économiques craignent l’arrêt des injections de liquidité et la remontée brutale des taux d’intérêt ou au contraire la poursuite de la croissance excessive de la liquidité et le retour de l’inflation. On peut donc partir de l’observation que la politique monétaire du monde est très expansionniste. La base monétaire augmente rapidement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, en Chine, mondialement, mais pas dans les pays émergents hors Chine en raison de la dépréciation récente de leurs devises et plus lentement dans la zone euro avec le remboursement des opérations de repos à long terme par les banques.
Dans toutes les régions du monde, sauf la zone euro, et mondialement les taux d’intérêt à long terme sont inférieurs à la croissance nominale, ce qui montre l’orientation très stimulante de la politique monétaire. Pourtant, la croissance, encore plus industrielle que globale, ne repart que mollement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, mondialement ; elle recule dans les pays émergents autres que la Chine. Il y a donc un contraste évident entre le caractère très expansionniste des politiques monétaires et la modestie des reprises économiques. Il y a donc très clairement une nette perte d’efficacité des politiques monétaires, dont il faut s’interroger sur les causes de la perte d’efficacité des politiques monétaires, dans un environnement où les déficits publics doivent encore baisser.
La première raison tient probablement au niveau élevé de l’endettement des agents économiques privés. La politique monétaire a été utilisée à de nombreuses reprises (1980-1982, 1991-1993, 2000-2002) pour faire repartir le crédit et par là même la demande intérieure, et on parvient alors aujourd’hui à des taux d’endettement si élevés que les politiques monétaires même très expansionnistes ne peuvent plus faire repartir le crédit (Etats-Unis, Europe, Japon) ou ne peuvent plus faire accélérer (Chine, autres pays émergents) le crédit.
Le taux d’endettement privé du monde diminue depuis 2009 après avoir beaucoup augmenté depuis le milieu des années 1990. La politique monétaire expansionniste n’influence alors plus l’économie par le canal du crédit bancaire mais par d’autres canaux, en particulier par le canal de la hausse des prix des actifs et de la richesse, comme on l’a vu clairement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon. Or, le canal de la richesse est nettement moins efficace que le canal du crédit pour faire repartir l’économie. Dans certaines régions (zone euro), les effets de richesse sont très faibles, en particulier parce que les retraites ne sont pas gérées en capitalisation (en accumulation des actifs). Mais dans les régions où les effets de richesse sont présents, ils ne touchent qu’une partie de la population qui est celle qui détient les patrimoines financiers et immobiliers, essentiellement des ménages âgés et des retraités.
Ceux-ci, de plus, ont une structure particulière de dépenses : services, loisirs, achats de logements anciens, très peu de biens industriels, comme on le voit clairement aujourd’hui aux Etats-Unis où seuls les services créent des emplois et seules les ventes de logements anciens progressent. Au Japon, seules les dépenses de loisirs, de voyages organisés et les achats de produits de luxe augmentent. La seconde raison probable de l’inefficacité des politiques monétaires très expansionnistes et qu’elles suscitent beaucoup d’inquiétudes, donc aggravent l’incertitude, ce qui freine la dépense. Ces inquiétudes vont d’ailleurs dans les deux sens. On se demande ainsi si la Réserve fédérale ne va pas réduire trop brutalement ses achats d’actifs financiers, provoquant une hausse des taux d’intérêt à long terme qui casserait la reprise.
On se demande en sens inverse si l’excès de liquidité créé ne va pas refaire apparaître l’inflation ; donc une perte de pouvoir d’achat et une taxe sur les actifs financiers. L’inflation anticipée n’augmente pour l’instant qu’au Japon et au Royaume-Uni. Il faut donc admettre que les politiques monétaires sont devenues assez inefficaces. L’acharnement des gouvernements et des banques centrales à continuer à les utiliser pour soutenir la croissance ne peut conduire qu’à un emballement de la création monétaire mondiale.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
Du même auteur
Les avantages de la flexsécurité : une comparaison du Danemark et de la France
Le Danemark a fait depuis la fin des années 1990 le choix d’un modèle économique qui allie…
Comment la zone euro peut-elle investir suffisamment ?
Les pays de la zone euro sont confrontés à la nécessité d’accroître considérablement leur taux…