Et si la croissance potentielle de la France restait faible ?

Publié le 15 septembre 2023 à 18h15

Patrick Artus    Temps de lecture 4 minutes

La croissance potentielle est la croissance qui peut être réalisée à moyen terme. Elle est donc la somme des tendances de croissance de la productivité du travail, de la population en âge de travailler et du taux d’emploi (la proportion de la population en âge de travailler qui a un emploi).

Quand on calcule la croissance potentielle de la France, de 2019 à 2022, on obtient un chiffre négatif (de – 0,3 % par an). En effet, de 2019 à 2022, la productivité du travail a reculé d’un peu plus de 1,1 % par an, la population en âge de travailler est restée stable, et le taux d’emploi a progressé d’un peu plus de 0,8 % par an. On voit que malgré le passage du taux d’emploi de 66,4 % en 2019 à 68,1 % en 2022, le recul de la productivité du travail depuis 2019 a fait disparaître plus que la totalité de la croissance potentielle.

On peut s’étonner, alors, que le Programme de stabilité publié par le gouvernement français en avril 2023 fasse l’hypothèse d’une croissance potentielle de 1,35 % par an, qui se décompose entre des gains de productivité de 0,8 % par an et une croissance du taux d’emploi de 0,55 % par an. Si la croissance supposée de ce dernier est raisonnable, celle de la productivité pose problème : le Programme de stabilité suppose que les gains de productivité de 2023 à 2027 seront supérieurs à ce qu’ils étaient de 2004 à 2018 (0,66 % par an), alors qu’on connaît les effets défavorables de la désindustrialisation, de la faible performance du système éducatif, de l’insuffisance des investissements en robotisation et des dépenses de recherche-développement sur la productivité du travail.

On peut donc se demander ce que seraient les conséquences d’une simple stagnation de la productivité en France. La principale est que le produit intérieur brut en volume serait 4 points plus bas en 2027 (5 fois 0,8 %). Cela induirait, à système fiscal inchangé, un recul de 2,1 points de PIB de recettes fiscales. Si les dépenses publiques sont celles qui ont été prévues, le déficit public à la fin de 2027 serait de 4,8 % du PIB et non de 2,7 % du PIB, ce qui entrerait en contradiction avec les règles européennes et imposerait la mise en place d’une politique budgétaire encore plus restrictive que celle qui a été annoncée (baisse de 3,7 points de PIB des dépenses publiques totales entre 2022 et 2027).

La deuxième conséquence de cette absence de gain de productivité sera un violent conflit intergénérationnel pour la répartition du revenu. Normalement, le salaire réel par tête augmente comme les gains de productivité, c’est-à-dire dans notre scénario qu’il n’augmentera pas entre 2022 et 2027. Mais le nombre de retraités va augmenter sur cette période de 1,4 % par an (de 7 % au total). Si le pouvoir d’achat des retraités est maintenu, il faudra augmenter les cotisations vieillesse payées par les salariés de 1 point de PIB, ce qui fera baisser le pouvoir d’achat des salariés actifs de 0,2 % par an. On peut imaginer que cette perspective déclenchera un conflit de répartition entre les générations.

On voit les conséquences extrêmement défavorables d’une poursuite de la stagnation de la productivité en France. Peut-on échapper à ce piège ? Les pistes d’espoir sont le redressement de l’investissement des entreprises depuis 2017, les effets peut-être favorables du développement de l’intelligence artificielle sur la productivité, le début du redressement du retard pris par la France en ce qui concerne les dépenses d’investissement en nouvelles technologies et en robotisation.

Toutefois, on peut avoir des doutes sur les effets, supposés généralement favorables, de l’intelligence artificielle sur les gains de productivité. Dans la seconde moitié des années 1990, on imaginait qu’Internet allait favoriser une croissance forte de la productivité du travail. Aujourd’hui, ces espoirs ont été déçus.

Les créations d’emplois ont surtout été fortes dans les plateformes liées à Internet, et ces emplois sont en général peu qualifiés et peu productifs. Il est à craindre que la même désillusion apparaisse en ce qui concerne les effets de l’intelligence artificielle sur les gains de productivité. Par ailleurs, le faible niveau du système éducatif et des compétences tant des jeunes que de l’ensemble de la population seront des handicaps difficiles à corriger. Les progrès dans ce domaine sont très lents, sinon inexistants.

Enquête après enquête, la France se classe dans les derniers rangs des pays de l’OCDE en ce qui concerne les compétences des jeunes, en particulier les compétences scientifiques. Et le système de formation professionnelle continue à ne bénéficier essentiellement qu’aux personnes déjà bien formées : seulement 15 % des salariés peu qualifiés en France bénéficient, durant leur vie, d’une formation. Il est bien à craindre que la croissance potentielle de la France reste durablement très faible.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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