L'analyse d'Isabelle Job-Bazille

Europe : une indispensable solidarité

Publié le 18 février 2022 à 17h45

Isabelle Job Bazille    Temps de lecture 4 minutes

Le triptyque, dépenses communes, dette communautaire et ressources propres de l’Union, serait une belle manière d’unir cette communauté de destins.

Le souvenir douloureux de la crise des dettes souveraines est encore dans toutes les mémoires. De quoi s’inquiéter des niveaux records de déficits et de dettes atteints postpandémie. Pourtant, si la crise de la zone euro a surtout été appréhendée sous l’angle budgétaire, elle a pris sa source dans l’approfondissement des déséquilibres extérieurs avec une divergence en termes de compétitivité entre les Etats membres, laquelle a renforcé la polarisation industrielle au sein de l’Union européenne sur fond de déséquilibres financiers croissants. 

Cette logique des déséquilibres en forme de jeu de miroirs, avec des excédents au Nord et des déficits au Sud, a volé en éclats avec la crise après l’arrêt brutal (« sudden stop ») de ces flux Nord-Sud de financements privés sur fond de questionnement croissant sur la soutenabilité des dettes à la fois privées et publiques. Autrement dit, les pays de la périphérie ont connu une crise de balance des paiements de facture assez traditionnelle, proche de celles qui ont frappé les pays émergents (Asie en 1997, Argentine en 2001…). Autre analogie frappante, les pays du sud de l’Europe, qui ont pourtant et surtout accumulé une dette en euros envers leurs partenaires de l’Union, ont été soumis à des pressions similaires aux pays émergents qui traditionnellement s’endettent dans une devise étrangère. 

L’absence d’un prêteur en dernier ressort et le manque de mécanisme de solidarité financière entre les Etats membres (clause de non-renflouement) ont fait fuir les investisseurs. De quoi acculer les Etats, dans le viseur des marchés, au défaut de paiement. On connaît la suite de l’histoire avec des pays financièrement fragiles contraints à des cures d’austérité sévères couplées à des ajustements réels douloureux (dévaluation interne par compression des coûts salariaux) en échange d’une assistance financière vécue initialement comme une solidarité d’urgence avant de revêtir un caractère plus pérenne avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES).

Mais, surtout, la Banque centrale européenne (BCE) a accepté de tout faire pour préserver l’intégrité de la zone euro (le célèbre « whatever it takes ») en assurant la liquidité des souverains en difficulté, mais aussi en se substituant au marché monétaire pour intermédier les besoins de financement de la zone alors que le recyclage en interne des excédents du Nord s’est interrompu. Elle a lutté également, depuis cette date, contre la fragmentation financière afin de prévenir une divergence croissante des économies susceptible de mettre en danger la cohésion de la zone euro. La BCE est devenue à son corps défendant l’un des principaux acteurs de la solidarité intracommunautaire au moins jusqu’à la crise de la Covid. Car, depuis, l’Europe a fait preuve d’un élan de solidarité salutaire en acceptant de financer un plan massif de relance de 750 milliards d’euros par l’émission d’une dette commune redistribuée partiellement sous forme de subventions, notamment aux Etats membres sous forte contrainte budgétaire. Mutualiser des ressources et réallouer les capitaux à l’échelle de l’Union en fonction des besoins pour financer des dépenses d’avenir doit aider à refaire converger l’ensemble des économies vers un modèle de croissance plus écoresponsable et inclusif. 

La pérennité d’un tel mécanisme solidaire n’est néanmoins pas garantie. Pour les pays dits frugaux, tenants de l’orthodoxie budgétaire, cette solidarité est circonstancielle face à une crise exceptionnelle et non un pas en direction d’une intégration budgétaire plus poussée, synonyme, selon eux, de transferts permanents et unidirectionnels à l’origine d’un fort aléa moral. 

Le triptyque, dépenses communes, dette communautaire et ressources propres de l’Union, afin de se doter dans la durée de moyens conjoints pour relever les défis environnementaux et sociétaux de demain, serait pourtant une belle manière d’unir cette communauté de destins. Sans quoi les écarts de performances sont malheureusement voués à se creuser avec des forces centrifuges qui mettront tôt ou tard en péril l’intégrité de l’Union. 

Si une solidarité institutionnalisée sert l’intérêt collectif en protégeant le bien commun qu’est l’Union, elle doit s’accompagner d’un principe de responsabilité pour bannir tout comportement de passager clandestin qui sape la confiance mutuelle. C’est tout l’enjeu des discussions qui s’ouvrent autour de la refonte du cadre budgétaire européen avec des choix structurants pour une Europe en quête d’un retour au sérieux budgétaire sans sacrifier l’avenir. 

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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