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Le monde d’après ressemble au monde d’avant… en pire !
Au sortir de la pandémie de Covid-19, nous avons collectivement rêvé d’un monde nouveau, porté par des transformations profondes à la fois sociétales, environnementales et technologiques. La mise en pause provoquée par la crise sanitaire a offert une opportunité d’introspection avec des réflexions autour de nos modes de vie, nos priorités collectives et nos valeurs, avec l’espoir de déboucher vers un monde meilleur.
Nos applaudissements en hommage au personnel soignant ont révélé notre prise de conscience collective sur l’importance de tous ces travailleurs essentiels – aides à domicile, agents d’entretien, caissières – pour le bon fonctionnement de nos sociétés., ainsi que sur le décalage entre leur utilité sociale et leur faible rémunération. La crise sanitaire a également accéléré le virage numérique. Les plateformes digitales sont devenues des lieux de sociabilité avec un foisonnement d’innovations pour réinventer les interactions sociales et la collaboration, tandis que l’adoption des technologies numériques a permis le développement du travail à distance. Cette parenthèse semblait marquer un tournant dans notre perception de l’urgence écologique avec le désir de tendre vers une économie sobre où la richesse est davantage définie par des aspects immatériels que matériels.
La pandémie a également mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales et nos dépendances excessives à l’égard de fournisseurs étrangers pour des biens jugés essentiels. Il était clair que les choses ne pouvaient plus être comme avant, avec la promesse de rendre nos chaînes de valeur plus locales, autonomes et résilientes face aux bouleversements géopolitiques anticipés avant la crise du Covid-19. L’autonomie stratégique et la réindustrialisation devaient être érigées au rang des priorités, sans pour autant renoncer à une collaboration mondiale pour gérer les biens communs, comme le climat. A l’époque, on espérait pouvoir adopter une approche équilibrée, capable de concilier souveraineté nationale et coopération globale pour relever les défis planétaires et sans frontières.
Le monde post-Covid n’a pas tenu ses promesses d’un avenir meilleur. Les travailleurs « essentiels » ou « invisibles » sont retombés dans l’oubli après la crise, alors qu’ils ont été les premières victimes du choc inflationniste, consacrant une part importante de leur budget à l’énergie et à l’alimentation dont les prix ont le plus augmenté. La révolution numérique, en marche accélérée, a également entraîné une fracture digitale, élargissant le fossé entre les pays et les populations en fonction de leur accès à ces nouvelles technologies, sans compter les inégalités engendrées par le télétravail. Les espaces numériques sont devenus des terrains fertiles pour la propagation virale de fausses informations, de vérités alternatives et de théories du complot, où les usagers, enfermés dans des bulles cognitives, n’ont plus la capacité à dialoguer. La polarisation des idées et des opinions produit de la violence qui sape la cohésion sociale et grippe les mécanismes démocratiques.
«Finalement, le monde plat et sans frontières, autrefois régi par des règles multilatérales, cède la place à un ordre international fragmenté, dominé par les rapports de force.»
Cette violence se projette également vers l’extérieur. La brutalisation du monde s’est intensifiée avec une augmentation des conflits armés et une exacerbation des tensions géopolitiques sur fond de rivalité systémique entre les Etats-Unis et la Chine. Lorsque la force prime sur le droit, le monde devient plus éruptif avec une multiplication des conflits, de l’Ukraine au Proche-Orient en passant par la mer de Chine et plus récemment l’Arctique. Cette fragmentation et la montée de la conflictualité globale alimentent également des tendances protectionnistes au nom de la sécurité d’approvisionnement et de l’autosuffisance, au moment où les technologies vertes créent de nouvelles formes de compétition et de dépendances autour des minerais ou métaux critiques. Pendant ce temps, le changement climatique continue de s’accélérer. Les catastrophes naturelles plus fréquentes et intenses perturbent les systèmes productifs et créent des tensions autour des ressources. Le risque est celui d’une arsenalisation des dépendances et d’une guerre des ressources à grande échelle qui ne ferait que des perdants.
Finalement, le monde plat et sans frontières, autrefois régi par des règles multilatérales, cède la place à un ordre international fragmenté, dominé par les rapports de force. La réélection de Donald Trump symbolise cette rupture profonde avec l’ancien monde. Son retour à la Maison-Blanche marque un tournant décisif avec un nationalisme exacerbé et le rejet des alliances traditionnelles, ainsi qu’un protectionnisme sécuritaire et une généralisation des guerres commerciales. Avec lui, la diplomatie adopte une approche viriliste caractérisée par une rhétorique belliqueuse, où l’agressivité devient une méthode et le mensonge une stratégie. Sous son influence, la montée de l’unilatéralisme et la primauté des intérêts nationaux consacrent le recul d’une gouvernance mondiale collaborative, une absence de solidarité internationale dangereuse à l’heure où les crises et défis globaux requièrent plus que jamais une action coordonnée.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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