Faire de la CSRD un atout commercial

Publié le 18 septembre 2024 à 16h34

François Meunier    Temps de lecture 4 minutes

Nous y sommes donc. C’est bien dès la fin de cette année, lors de la clôture des comptes 2024, que beaucoup d’entreprises seront soumises aux obligations déclaratives de la directive CSRD, nécessitant une collecte d’informations parfois lourde (beaucoup trop lourde, dit même le récent rapport Draghi). Or, très souvent, obtenir ces informations oblige l’entreprise à se tourner vers ses fournisseurs car ce sont eux qui en disposent. Et si le fournisseur ne répond pas, l’entreprise doit le faire auprès de cabinets experts. Beaucoup de temps passé et de coûts, et souvent un manque de cohérence dans les données, puisque chaque entreprise refait les calculs que d’autres ont faits indépendamment.

Le cas le plus connu est celui des déclarations au titre des émissions de gaz à effet de serre (« carbone » ci-après) qui adviennent lors de la production. Pour en faire l’estimation, il s’agit pour l’essentiel de chiffrer le contenu en carbone de tous les achats de biens et services (émissions directes s’agissant des achats de carburants fossiles ; indirectes pour tous les autres biens, dont les émissions ont eu lieu en amont), ce qu’on appelle commodément le « bilan carbone ». La responsabilité déclarative repose donc sur l’utilisateur, c’est-à-dire le client, plutôt que sur le fournisseur qui pourtant a vendu un produit ayant occasionné des émissions de carbone.

Examinons alors une piste. Et si l’on renversait la charge de la preuve, faisant en sorte que ce soit le fournisseur qui transmette en aval les données nécessaires plutôt que le client qui les réclame ? Concrètement, une fois que l’entreprise a fait son estimation du contenu carbone des biens et services « entrants », pourquoi ne ferait-elle pas le pas supplémentaire de fournir à ses clients le contenu carbone des biens et services « sortants », c’est-à-dire de ceux qu’elle vend ? Et ceci de son propre chef.

L’exercice n’est pas toujours simple, à coup sûr, et c’est cela qui, aujourd’hui encore, fait privilégier la « logique client » sur la « logique fournisseur » dans la collecte des données. Mais il est quand même à la portée des entreprises qui disposent d’équipes financières raisonnablement équipées.

Cela requiert deux choses. Premièrement, de bien enregistrer les flux de carbone associés aux achats. Il faut faire plus que les « compter » comme c’est fait aujourd’hui ; il faut les « comptabiliser » comme l’entreprise le fait pour ses comptes financiers en les inscrivant dans un grand livre comptable, avec entrées et sorties. Deuxièmement, d’allouer les carbones « entrants » sur chacun des produits vendus en retenant les clés dont use le contrôle de gestion pour le calcul des prix de revient et des taux de marge par produit.

«En Allemagne,  la filière chimie et la filière automobile transmettent déjà les données environnementales, dont le carbone, sur des plateformes réservées exclusivement à leurs clients.»

L’exercice suppose au début un réel investissement en contrôle de gestion, mais voyons-en le double avantage : d’abord, l’entreprise rend service à ses clients en les aidant dans leur tâche déclarative ; ensuite, elle affiche en toute transparence et à leur seule attention sa performance carbone. Chose utile quand on sait que les directions achats ont de plus en plus des objectifs « carbone » lors de leurs passations de marché.

En clair, il s’agit de faire de nécessité vertu. L’investissement en administration des données devient un investissement commercial. C’est ce qu’ont compris certains secteurs industriels, particulièrement en Allemagne, où la filière chimie et la filière automobile transmettent déjà les données environnementales, dont le carbone, sur des plateformes réservées exclusivement à leurs clients. Une toute simple facture suffit comme bon support pour passer l’information.

Et la vertu est double, car l’économie peut se voir comme un vaste tissu de relations interentreprises. Si je donne une information à mon client, celui-ci la répercute d’autant plus aisément en aval et avec une meilleure qualité, selon un jeu en cascade qui progressivement améliore la qualité de l’ensemble. Une sorte d’intelligence distribuée se met en place, très similaire dans sa logique à la transmission des données TVA (« intelligente » en effet du point de vue du fisc, car ce sont les contribuables qui font la collecte à sa place !).

Pour que cette dynamique s’enclenche, nul besoin de légiférer trop vite, nul besoin d’imposer la chose aux PME en un premier temps. Ces dernières profiteront de l’information fournie par leurs grands fournisseurs alors qu’elles devront peut-être se protéger de la pression que certains grands acheteurs ne manqueront pas de faire peser sur elles, à savoir fournir des données pour la collecte desquelles elles sont encore mal équipées. Ce doit être, à pas progressifs, l’intérêt commercial et la discipline de marché qui s’emploient à imposer ce partage d’informations.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…