Le cash pooling, un concept désuet ?

Publié le 11 octobre 2024 à 11h51

François Meunier    Temps de lecture 5 minutes

On ne veut pas ici relier mécaniquement le cash pooling et l’énorme fraude commise par Aurélie B., la Kerviel de chez Kiabi. Cette fraude fait encore l’objet d’enquêtes sur ses modalités et possibles complicités. Mais de fait, l’entreprise regroupait toute la trésorerie du groupe dans une filiale spécialisée – ce qu’on appelle faire du cash pooling – sans probablement la surveillance requise pour un si beau pot de miel.

Elevant la discussion, il est utile de poser la question : « Est-il encore utile de centraliser le cash ? », ce que pourtant consultants et banques internationales continuent – moins que par le passé – de conseiller aux directeurs financiers ou de la trésorerie.

Avant de répondre, il faut d’abord distinguer la trésorerie, qui est un stock, du flux net de trésorerie, qui bien sûr est un flux. Il faut maximiser le second qui est, financièrement parlant, le battement vital de l’entreprise. Et l’utiliser au plus vite, soit en investissement interne, soit à destination des investisseurs. Il faut par contre minimiser le premier parce que, en tant qu’actif, il est l’un des moins rentables dans l’entreprise, sauf à en faire une ligne de métier spécialisée qui s’assimile à une activité bancaire.

«Comme vient de le constater Kiabi à ses dépens, en tant qu’actif opérationnel, le cash porte du risque opérationnel, et ce d’autant plus que c’est l’actif le plus liquide dans l’entreprise.»

Pour nuancer le point précédent, il faut considérer que le cash est aussi un actif opérationnel avec la double fonction d’huiler le fonctionnement de l’entreprise (on parle alors de cash-outil, tel l’argent qu’on laisse en caisse pour le magasin qui ouvre le lendemain) et de servir de police d’assurance contre le risque d’illiquidité (cash-assurance), pour couvrir de possibles dépenses inopinées ou en prévision d’une difficulté à lever de la dette. En tant qu’actif opérationnel, il porte donc du risque opérationnel, comme le constate Kiabi à ses dépens, d’autant plus que c’est l’actif le plus liquide dans l’entreprise.

Donc, faut-il centraliser ? L’argument coût doit être considéré, car le trésorier a ainsi une négociation unique avec sa banque et dans de meilleures conditions ; il surveille les entités, facilite les rapprochements avec une comptabilité elle-même toujours plus centralisée. En sens inverse, il multiplie les transferts de cash, ce qui coûte en commissions, surtout au travers des frontières. Autre argument, on dit qu’il est avisé de laisser les filiales d’un groupe en situation de dette vis-à-vis de la maison mère. De cette façon, elles viennent frapper à la porte de la maison mère quand elles font face à une dépense significative, ce qui occasionne un dialogue jugé utile entre l’une et l’autre.

Mais la déconcentration a aussi des avantages. Il est judicieux de laisser de l’autonomie aux directeurs financiers des filiales, sauf à avoir de simples exécutants. Car il faut des relais locaux fiables et compétents au sein de tout groupe, notamment pour les fonctions comme le contrôle de gestion, qu’on ne peut centraliser aisément.

Une autre raison, peut-être la plus importante, est qu’il y a un actif plus liquide encore que la trésorerie, mais un actif capable de circuler sans aucun coût ni frottement : il s’agit de l’information sur le cash. Expliquons-nous.

Les bons logiciels de gestion de trésorerie permettent d’avoir, à la journée et au centime près, la position de trésorerie des filiales ou entités. Une alternative à la centralisation physique du cash consiste alors en un tableau de bord donnant la cartographie complète et en continu de la situation de cash et des montants mobilisables à tout moment. Ces logiciels sont connectés en direct sur les comptes courants des entités auprès des banques locales, en imposant parfois un format de rapportage unique.

De la sorte, une certaine subsidiarité s’établit. Le centre exerce son rôle de surveillance incontournable ; la périphérie est décisionnaire dans les limites définies par les standards groupe. Et si une filiale a un besoin de cash, le centre peut combler le trou, tout comme le peut une autre filiale où un excédent de cash a été identifié. On évite d’opérer à l’excès des mouvements sur le cash sachant les coûts de transaction. Pour prendre une image un peu farfelue, on ne demande pas au directeur groupe de la production de remonter tous les soirs les usines du groupe au siège !

En clair, le trésorier groupe, outre sa fonction sur le bilan central, devient prioritairement un gestionnaire d’information et de surveillance, laissant la gestion des actifs opérationnels aux responsables locaux. Le cash pooling devient désuet et c’est le pooling de l’information qui prend sa place, ce qu’on appelle aujourd’hui le pooling notionnel.

Et face aux fraudes, on retrouve le dilemme classique : décentraliser signifie beaucoup de petits risques, mais qu’on espère mutualisables ; centraliser signifie attirer les aigrefins professionnels pour qui la taille du rapt possible justifie les moyens qu’ils y mettent.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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