Réflexions sur la prime de contrôle

Publié le 8 novembre 2024 à 13h21

François Meunier    Temps de lecture 4 minutes

Le prix payé par l’acquéreur d’une société intègre le plus souvent une prime dite de contrôle ou de fusion par rapport au prix de marché prévalant par exemple en Bourse. A quel niveau s’établit-elle ? On observe couramment un montant de 20 à 30 %, mais pourquoi ? Un petit exercice de pensée permet de mieux voir la chose.

Soit une société cotée en Bourse dont le prix de l’action vaut 100 euros. Elle est mise en vente auprès de plusieurs entreprises intéressées qu’on met en concurrence. Chacune d’elles, supposons-le, est capable d’extraire des synergies pour un montant de 20 euros par action. La valeur, de leur point de vue, est donc de 120 euros. Quel est, dans un marché rationnel des fusions-acquisitions, le prix que le vendeur obtiendra ? Voilà la question que je pose habituellement à mes étudiants en finance, en les faisant voter : sera-t-il de 100 euros, de 120 euros, ou bien, coupant la poire en deux, de 110 euros ? Pour le piquant du vote, j’accompagne ma question d’une petite touche moralisatrice : si le prix est de 120 euros, c’est un peu injuste pour l’acheteur qui l’emporte, car le vendeur n’a rien fait pour cette synergie. C’est l’acheteur qui doit travailler dur pour la réaliser. A quoi lui sert-il d’acquérir si cela n’aide pas la propre valorisation de sa société ? Cher lecteur, que répondriez-vous ? Eh bien, s’agissant des étudiants, une grosse majorité préfère le « moit-moit » à 110 euros, jugeant un tel prix plus éthique ; les deux prix extrêmes n’emportent qu’une minorité.

La réponse est bien sûr 120 euros, car si l’un des acheteurs proposait 105 euros, un deuxième viendrait enchérir à 106 euros et un autre à 107 euros. Le jeu continuerait en théorie tant qu’il y aurait un centime à gagner. Rien d’étonnant. Adam Smith nous dit de longue date qu’un marché concurrentiel joue à effacer les rentes. Or la synergie est bien une rente que le vendeur, en position de monopole, cherche à valoriser au mieux. Pour bien faire comprendre, je présente aux étudiants un billet de 20 euros et le mets aux enchères. Faites vos prix ! Il est bien rare que ce petit jeu me coûte plus qu’un euro ou deux.

L’essentiel, dans un conseil en fusion-acquisition côté vendeur, est donc d’organiser au mieux la compétition entre des acquéreurs intéressés de sorte que chaque participant ait le sentiment que des concurrents sont à ses trousses pour l’emporter. Si la transaction s’opère en Bourse, les prix sont évidemment publics. Ils sont soigneusement cachés si la transaction est privée.

«Dans certaines enchères, la « malédiction du gagnant » intimide par avance les acheteurs, qui peuvent alors jouer petit bras au détriment du vendeur.»

Les acteurs ne sont pas toujours capables d’extraire le même montant de synergie. Quand LVMH a payé – et très cher – pour le contrôle de Tiffany, il se doutait qu’il était un des seuls à pouvoir projeter cette marque vieillissante partout dans le monde, fort de sa logistique commerciale. Et s’il n’y a qu’un seul acheteur, le voici en monopole lui aussi. Il y a ce qu’on appelle un monopole bilatéral et ce n’est que le hasard ou le pur rapport de force qui détermineront, un peu comme au souk, le partage des 20 euros.

Le jeu est donc stressant, d’autant qu’intervient souvent dans les procédures d’enchères ce qu’on appelle la « malédiction du gagnant ». « Oui, je l’ai emporté, dit le gagnant, mais n’ai-je pas payé trop cher ? » C’est là qu’un bon banquier d’affaires veille à rassurer : « Le second prix était très proche, vous avez bien fait ! » dit-il quand la transaction est privée. Et fournit le discours exactement inverse au perdant, car lui aussi connaît sa malédiction, celle de n’avoir pas osé l’euro de plus pour emporter la mise : « Le prix final était inaccessible, vous avez bien fait ! »

Dans certaines enchères, cette malédiction du gagnant intimide par avance les acheteurs, qui peuvent alors jouer petit bras au détriment du vendeur. Une solution est de désigner comme gagnant celui qui offre le plus, mais en lui faisant payer seulement le deuxième prix le plus haut. Il hésitera moins à proposer un prix « déraisonnable » sachant qu’il ne le payera pas. Il aura peut-être omis au passage que les autres peuvent « déraisonner » à l’identique. William Vickrey, économiste anglais, a gagné son prix Nobel en formalisant ce mécanisme qui existe de longue date.

Reste le fait de base qu’assez souvent l’acheteur d’une société lors d’un processus compétitif paie le juste prix de la synergie qu’il entend trouver. C’est ce qui explique que, en général, le cours boursier de l’acquéreur ne monte pas à la suite d’une opération réussie d’acquisition d’entreprise et baisse assez souvent. Par chance pour la vie des affaires, les dirigeants d’entreprise ont une mentalité de conquérants. Mais ils doivent garder l’incitation à faire mieux que normal dans l’exécution de la fusion qui va suivre.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

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