Fort rebond des défaillances : le risque d’impayés est de retour
Envolée du cours des matières premières, hausse du coût des intrants et perturbations des chaînes logistiques : l’invasion de l’Ukraine et les mesures sanitaires appliquées par la Chine renforcent les pressions qui pèsent déjà sur la trésorerie des entreprises depuis début 2020. Jusqu’ici, les mesures publiques de soutien et les réserves de liquidités accumulées par les entreprises ont fortement limité le rebond des défaillances. Mais la normalisation approche : le nombre de défaillances d’entreprises repart à la hausse à l’échelle mondiale, et les niveaux pré-Covid-19 pourraient prochainement être atteints. De quoi craindre une importante résurgence du risque d’impayés.
Les entreprises font à nouveau face à d’importants vents contraires à l’échelle mondiale : goulots d’étranglement affectant les transports, hausse du prix des matières premières, pénuries de certains intrants, voire de main-d’œuvre, etc. En parallèle, elles doivent également faire face à une hausse des coûts de financement dans un contexte d’accélération de l’inflation et de resserrement des politiques monétaires. Autant d’éléments qui pèsent sur leur rentabilité, leur activité et leur trésorerie.
Par ailleurs, chez Allianz Trade, nous avons identifié plusieurs poches de fragilité, qui pourraient résulter en une recrudescence prononcée du risque d’impayés. Tout d’abord, en 2021, le BFR s’est particulièrement dégradé dans plusieurs secteurs comme les équipements des ménages (+ 8 jours), l’électronique (+ 3 jours) et les machines et équipements (+ 2 jours). La preuve que la trésorerie de nombreuses entreprises est déjà sous tension. Ensuite, en zone euro (+ 5,2 points) et aux Etats-Unis (+ 3,5 points), le ratio dette/PIB des entreprises non financières s’est considérablement dégradé en 2021. Cet endettement croissant pèsera indéniablement sur les perspectives de développement des entreprises. Par exemple, une hausse des taux bancaires de 100 pb pèserait à hauteur de 3 points sur les marges des entreprises françaises. Enfin, le contexte international actuel a engendré un ralentissement de la demande. De quoi limiter la croissance du chiffre d’affaires des entreprises.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que les défaillances d’entreprises à l’échelle mondiale croîtront de + 10 % en 2022 et de + 14 % en 2023 (– 12 % en 2021).
Selon nos calculs, les défaillances d’entreprises retrouveront leurs niveaux d’avant crise en 2022 dans un pays sur trois. Pour un pays sur deux, cette normalisation aura lieu en 2023. En Europe de l’Ouest, on devrait observer deux tendances distinctes : au Royaume-Uni et en Espagne, le nombre de défaillances dépassera son niveau de 2019 dès la fin de cette année, tandis qu’en Italie, au Portugal et dans les pays nordiques, la normalisation ne se produira qu’en 2023.
Dans les autres économies avancées, les défaillances rebondiront fortement dès cette année, mais le retour aux niveaux de 2019 mettra plus de temps à se formaliser. En France et en Allemagne, grâce aux fortes mesures étatiques de soutien, les défaillances ne retrouveront pas leurs niveaux d’avant pandémie en 2022, et resteront tout juste en dessous en 2023. C’est également le cas des Etats-Unis, où les entreprises bénéficieront des réserves accumulées depuis la crise et d’un soutien public prolongé. La Chine devrait également maintenir les défaillances à un niveau moindre, malgré une situation tendue pour les entreprises les plus exposées au commerce mondial.
Comment expliquer ce retard de normalisation pour certains pays ? Chez Allianz Trade, nous identifions trois facteurs de résilience concernant les entreprises : (i) début 2022, à l’échelle mondiale, le montant total des liquidités détenues par les entreprises cotées était de 30 % supérieur au niveau observé en 2019 ; (ii) nos données propriétaires montrent que le nombre d’entreprises fragiles a légèrement baissé en Europe depuis la Covid-19 ; (iii) les chiffres publiés par les entreprises cotées au premier trimestre confirment que ces dernières ont été en mesure de répercuter les hausses de coûts sur leurs prix de ventes.
Ces facteurs laissent penser que l’économie mondiale sera en mesure, au moins à court terme, d’éviter une vague massive de défaillances. Néanmoins, les entreprises devront se montrer vigilantes : le risque d’impayés est de retour, et le risque de récession a fortement augmenté.
Ana Boata est directrice de la recherche économique d’Allianz Trade
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