Il faut être long de volatilité
Les marchés financiers ont aujourd’hui trois caractéristiques importantes dans la zone euro. Tout d’abord, avec le quantitative easing (QE), la liquidité investissable disponible est très importante, et va le devenir davantage. Même si certains investisseurs croient l’inverse, la BCE va continuer jusqu’à la fin de 2016, et même peut-être au-delà, à acheter 60 milliards d’euros d’obligations par mois. Cela accroît les mouvements de prix sur les marchés financiers avec la grande quantité de liquidités qui peut passer d’une classe d’actifs à une autre.
Ensuite, les anticipations des investisseurs dépendent essentiellement des évolutions qu’ils prévoient pour la politique monétaire de la BCE. On se situe dans un «régime de liquidité» sur les marchés financiers, où les prix des actifs financiers sont déterminés par les anticipations de politique monétaire future et de fourniture de liquidité par la BCE, et plus par les variations des fondamentaux des prix des actifs. Dans ce régime de liquidité, de très petits chocs, des nouvelles insignifiantes, qui pourraient, selon les investisseurs, modifier la politique monétaire de la BCE, ont des effets très importants sur les prix des actifs financiers. On a ainsi vu au début de juin 2015 que l’annonce d’une inflation remontant à 0,3 % dans la zone euro (ce qui est parfaitement normal puisque les coûts salariaux unitaires augmentent de 1 % par an et que le prix du pétrole est stable) conduisait en trois jours à une remontée de 25 points de base des taux d’intérêt à dix ans en Allemagne, sur le Bund.
La troisième caractéristique importante des marchés financiers de la zone euro dans la période récente est le recul de la liquidité de marché. Les banques ont considérablement réduit leurs activités de «proprietary trading», de «market making» et détiennent des stocks très faibles de titres ; de ce fait, elles ne stabilisent plus les marchés financiers en cas de choc, et le même choc a des effets beaucoup plus importants sur les prix d’équilibre des actifs financiers, conséquence insuffisamment analysée des nouvelles réglementations des banques.
Quand on cumule les trois caractéristiques nouvelles des marchés financiers de la zone euro (liquidité très abondante fournie par la BCE, anticipations des investisseurs réagissant très fortement aux nouvelles pouvant affecter la politique monétaire de la BCE, même si en réalité la BCE va continuer le QE jusqu’à la fin de 2016 au moins, faible liquidité de marché), on comprend que la volatilité effective et optionnelle, sur les marchés financiers (taux d’intérêt à long terme, actions, taux de change de l’euro) va être très forte ; elle a déjà beaucoup augmenté depuis l’été 2014. Un petit choc pouvant affecter les décisions de la BCE (inflation, croissance…, dans la zone euro) conduit à une forte modification des anticipations, à un fort déplacement de liquidité, et à une très forte variation des prix d’équilibre.
Supposons qu’arrive une nouvelle qui peut faire croire que la BCE va passer à une politique monétaire moins expansionniste. Il en résulte une forte hausse des taux d’intérêt à long terme et une forte baisse des cours boursiers. Les investisseurs font donc des pertes sur toutes les classes d’actifs. Comment peuvent-ils se prémunir contre ces pertes ? La réponse est dans ce qui précède : en ayant une position longue en volatilité, position gagnante en tendance, avec la hausse structurelle de la volatilité, et lors des chocs affectant les marchés financiers.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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