Inflation : les politiques budgétaires à la rescousse ?
En février dernier, en Italie, Mario Draghi, président du conseil des ministres, annonçait un plan de 8 milliards d’euros à destination des ménages et des entreprises pour compenser l’impact de la hausse des prix de l’énergie. Malgré cela, selon Confartigianato, l’association des PME, les coûts vont augmenter de plus de 40 milliards d’euros. En Italie, près de la moitié de l’électricité environ est dépendante du gaz (surtout de provenance russe), contre 29 % en zone euro, 17 % en Allemagne et 6,6 % en France.
En France, précisément, la flambée des prix préoccupe aussi le gouvernement. EDF est obligé de vendre davantage d’électricité à bas prix aux « fournisseurs alternatifs » avec des conséquences importantes – un manque à gagner de 8 milliards d’euros en 2022 – pour son résultat. Pour simplement limiter la hausse des prix de l’électricité, l’Etat français a dépensé 20 milliards d’euros. Sans compter, de surcroît, un chèque énergie exceptionnel, un bouclier tarifaire pour le prix du gaz, etc.
En Allemagne, pourtant refuge des ordolibéraux, le gouvernement a de même décidé récemment d’introduire une série de mesures, en particulier une baisse des impôts sur l’électricité, sur les revenus, et des subventions pour les ménages les plus pauvres. Quant aux Etats-Unis, où les prix ont augmenté en glissement annuel de 7,5 % en janvier dernier, la perte de pouvoir d’achat est si sérieuse, qu’elle est devenue une épine majeure pour le président Joe Biden, compromettant les perspectives de son parti pour les élections de mi-mandat.
Le fait intéressant, dans tous ces cas, est que la politique budgétaire est désormais responsable de la défense du pouvoir d’achat – et de la compétitivité. Soit dit en passant, l’efficacité de ces mesures ne suscite pas beaucoup de débats : qui paie en fin de compte, qui profite des diverses mesures de soutien ? Les réponses ne sont pas du tout évidentes. Elles dépendent de la compétitivité des marchés, de la sensibilité de l’offre et de la demande, de l’horizon temporel, etc. Mais ce qui est étonnant, c’est que la politique monétaire – qui était, il n’y a pas si longtemps, considérée comme l’instrument majeur – est reléguée au second rang.
La prise en charge par la politique fiscale de la défense du pouvoir d’achat répond peut-être à des préoccupations électorales. Mais les raisons sont aussi structurelles. La politique monétaire influe sur la demande globale. La politique budgétaire aussi, mais elle peut avoir une approche plus ciblée, en termes d’allocation comme de redistribution. En effet, ce qui réduit substantiellement le pouvoir d’achat des particuliers et accroît les coûts des PME, ce sont les hausses abruptes des prix relatifs. Or les deux leviers budgétaires peuvent influer sur ces prix relatifs.
De plus, contrôler le prix de l’énergie (un prix relatif) ou contrecarrer les goulets d’étranglement (un problème d’offre) va au-delà de la capacité d’action des banquiers centraux. Par conséquent, dès lors qu’il n’y a pas d’effets secondaires, leur réaction consiste à ignorer tout simplement ce type de phénomènes, qu’ils considèrent comme transitoires.
L’inflation en zone euro a atteint en janvier 5,1 % (puis 5,8 % en février), un niveau qui n’avait pas été observé depuis plus d’une génération. Selon les indicateurs les plus récents, l’inflation risque de rester significativement au-dessus de l’objectif (symétrique) de 2 %. Pour la BCE, la situation est particulièrement compliquée. Elle ne peut qu’essayer de contrôler un indicateur, la moyenne pondérée de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) des pays membres. Cette moyenne cache des différences substantielles. En glissement annuel, les indices des prix (harmonisés) ont augmenté en janvier de 11 % en Lituanie, de 3,3 % en France et de 5,1 % en Allemagne. Mais, après pondération, l’inflation en Lituanie est peu significative. Au niveau national, l’harmonisation cache aussi des différences entre les ménages : l’énergie est beaucoup plus importante dans le panier des ménages les moins aisés.
La BCE n’a pas la capacité de prendre en compte cette hétérogénéité. C’est le devoir des politiques budgétaire et fiscale. Mais la marge de manœuvre fiscale est très différente selon les Etats membres. Une « normalisation » de la politique monétaire – avec l’arrêt des mesures non conventionnelles – risque dès lors de fragiliser les politiques budgétaires de ceux qui ont davantage besoin de corriger les effets de cette politique monétaire à taille unique.
Les perspectives géopolitiques aggravent à présent ces problèmes de façon structurelle. Impossible pour Mario Draghi « to do whatever it takes » chez lui. Un défi de plus pour l’Union européenne.
Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University
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