La BCE continuera d’acheter des obligations d’Etat au-delà de 2016
La hausse des taux d’intérêt qui s’est opérée depuis fin avril est impressionnante et révèle que les marchés anticipent des hausses des taux directeurs dès mi-2017. Nous pensons qu’ils surréagissent. La composante cyclique de la reprise sera moins puissante que lors des précédentes reprises économiques. En conséquence, le chômage baissera lentement et les pressions inflationnistes n’ont que peu de chances de se manifester dans les deux ou trois prochaines années. La BCE n’est donc pas près de remonter ses taux directeurs.
A première vue, la déflation semble avoir été évitée. Grâce à la remontée des prix du pétrole et à la baisse de l’euro, l’inflation est passée de - 0,6 % sur un an en janvier à 0,3 % en mai. Grâce aux effets de base, l’inflation devrait même revenir à des niveaux proches de 2 %, la cible de la BCE, au début de 2016. Combiné à la matérialisation de la reprise à des rythmes proches de 1,5 % sur un an et à l’amélioration du marché du travail en Europe (à l’exception de la France), ce retour de l’inflation s’est traduit par une remontée rapide des taux d’intérêt à long terme, le Bund à 10 ans passant de 0,1 % mi-avril à des niveaux proches de 1 %. De même, les marchés monétaires suggèrent que les opérateurs de marché anticipent une première hausse des taux de la BCE au milieu de l’année 2017 (et une fin du programme d’achat de titres obligataires QE dès septembre 2016).
Nous pensons qu’ils sont dans l’erreur, que la BCE continuera ses achats d’actifs et ses opérations de refinancement à long terme au moins jusqu’en 2017. Elle ne remontera ses taux directeurs que plus tard. Selon nous, l’inflation devrait osciller autour de 1,4 %-1,5 % entre 2016 et 2019 – bien en dessous de la cible des 2 %. La raison tient au fait que la composante cyclique de la reprise sera insuffisante pour permettre une fermeture rapide des excès de capacités («output gap») et une baisse rapide du taux de chômage. Nous prévoyons en effet une croissance économique proche de 1,5 % entre 2015 et 2017. Comparée à une croissance potentielle faible, autour de 1 %, la composante cyclique ne serait que de 0,5 pp de PIB par an. A ce rythme, il faudrait quatre ans pour fermer l’output gap et encore plus longtemps pour que le taux de chômage, aujourd’hui à 11,1 %, se rapproche du taux de chômage structurel (estimé à 8,5 % en zone euro). L’histoire, dont l’exemple récent des Etats-Unis, enseigne que ce n’est qu’à ce moment que les pressions salariales se font jour. Sans pressions salariales, l’inflation d’origine domestique (sous-jacente) restera basse. Et ce d’autant plus que de nombreux pays conduisent des réformes sur les marchés des biens et des services (à l’instar de la loi Macron) qui visent à faire baisser les prix des biens et des services.
Il s’agit donc de s’interroger sur l’ampleur de la reprise économique et en particulier de sa composante cyclique. La reprise économique qui a démarré l’été dernier est tirée à 80 % par la consommation, en hausse de 1,7 % sur un an au premier trimestre 2015. En particulier, la reprise des ventes de voitures a été impressionnante, expliquant un quart de la croissance de la consommation au cours des douze derniers mois. L’accélération de la croissance du revenu disponible réel, conséquence de la désinflation, de l’arrêt des politiques d’austérité et de la reprise de l’emploi, en a été le principal facteur. Les ménages européens se sont montrés prudents jusqu’ici dans leur demande de crédit. A l’avenir, la croissance du revenu disponible devrait ralentir, à mesure que l’inflation redémarrera. La reprise des ventes de voitures suggère toutefois que la confiance s’améliore et que, après des années de faible demande, il y a des besoins à satisfaire, des poches de demande refoulée. Si les consommateurs se mettent à épargner moins et à prendre plus de crédits, la dynamique actuelle de la reprise de l’automobile et de la consommation pourrait bien durer plusieurs trimestres.
Là où le bât blesse, c’est que les exportations et les dépenses d’investissement restent décevantes, contrairement aux reprises passées, comme celle de la fin des années 1990 ou celle intervenue après le contre-choc pétrolier de 1986, lorsque la zone euro a connu des taux de croissance du PIB proches de 4 % pendant plusieurs années. Dans le passé, lorsque l’euro baissait de plus de 10 %, comme c’est le cas depuis un an, les exportations explosaient à des rythmes de 20 à 30 % l’an. Aujourd’hui, leur croissance ne dépasse guère 5 % l’an. L’explication est que la faiblesse de l’euro est secondaire par rapport au dynamisme du commerce mondial. Or, celui-ci est très peu dynamique, et se contracte même depuis le début de l’année. Il y a là des évolutions structurelles. La globalisation ralentit, la Chine et les Etats-Unis sont plus autonomes qu’il y a quinze ans, et recourent moins au commerce mondial. Les Etats-Unis ont du gaz de schiste et ont réindustrialisé leur économie. La Chine fabrique désormais ses machines outils et est devenue moins consommatrice de matières premières. Pour s’en sortir, la zone euro devra compter sur elle-même et accélérer ses réformes.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking
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