La BCE pourrait s’inspirer de la Fed et baisser ses taux directeurs de façon préventive
La BCE a baissé deux fois ses taux directeurs de 25 pb, en juin et septembre, réduisant son principal taux directeur de 4 % à 3,5 %. Jusqu’à présent, dans son guidage, la BCE insiste sur l’importance de ses prévisions d’inflation, publiées une fois par trimestre, en soulignant que l’inflation domestique reste élevée et que les risques sont équilibrés, à savoir que l’inflation pourrait surprendre à la hausse comme à la baisse. Cette approche avait conduit les marchés depuis le printemps à anticiper des baisses de taux graduelles, de 25 pb, à chaque fin de trimestre : juin, septembre, décembre, mars, etc.
Mais depuis quelques semaines, la donne a changé. Il y a dix jours, la Fed a opté pour une baisse plus importante, réduisant de 50 pb sa cible des taux des Fed Funds à 4,75-5,00 %. Le guidage de la Fed suggère une nouvelle baisse des taux de 50 pb d’ici la fin de l’année, à savoir probablement des baisses de 25 pb lors des deux prochaines réunions de novembre et décembre. La Fed projette par ailleurs 100 pb de baisse des taux directeurs en 2025, ce qui ramènerait le taux des Fed Funds légèrement au-dessus de 3 %.
La décision de la Fed reflète un ralentissement net de l’inflation dans toutes ses composantes, y compris dans les services, une situation qu’on n’observe pas en zone euro, où les prix des services augmentent à un rythme supérieur à 4 % par an au cours des derniers mois. Mais la décision de la Fed provient surtout de l’assouplissement rapide de nombreux indicateurs de tension du marché du travail. Le taux de chômage a augmenté de manière rapide au cours des douze derniers mois, et plus encore ces derniers mois, atteignant 4,2 % en août. La Fed en a conclu qu’il fallait réduire plus rapidement le degré de restriction de la politique monétaire pour atténuer les risques sur le marché de l’emploi. En réduisant ses taux de 50 pb en septembre, elle a agi de façon préventive, afin de gérer les risques.
La BCE pourrait-elle s’inspirer de la Fed, en les baissant de 25 pb en octobre au lieu d’attendre décembre ? C’est ce qu’anticipent en partie les marchés financiers, qui voient 60 % de chances que la BCE baisse ses taux directeurs en octobre et presque 95 % de chances qu’elle les ait baissés de 50 pb d’ici la fin de l’année.
«Une baisse de 25 pb en octobre ou en décembre ne change guère les perspectives de croissance et d’inflation à moyen terme, mais contribuerait à redresser la confiance, ce qui manque en zone euro.»
Du point de vue de la gestion des risques, il serait tout à fait logique d’accélérer la baisse des taux directeurs déjà bien annoncée pour décembre et, ainsi, de contrer le risque d’agir avec retard, considérant les développements économiques récents. En effet, les nouvelles vont dans le sens d’une nette baisse de l’inflation. Les prix de l’essence ont baissé plus fortement qu’anticipé et devraient continuer de le faire car il semble peu probable que l’OPEP procède à des nouvelles coupes dans sa production de pétrole. Les enquêtes auprès des entreprises pointent vers une activité modérée dans les services et la poursuite de la dégradation dans l’industrie européenne, en Allemagne notamment. En baissant ses taux directeurs en octobre, la BCE aurait également la possibilité de ne pas bouger en décembre si les données s’amélioraient. Une baisse de 25 pb en octobre ou en décembre ne change guère les perspectives de croissance et d’inflation à moyen terme, mais contribuerait à redresser la confiance, ce qui manque en zone euro. Dans tous les cas, un taux d’intérêt de 3,25 % resterait probablement restrictif.
Les derniers chiffres d’inflation sont inférieurs à 2 % sur un an (probablement 1,8 % en septembre) et il apparaît désormais probable qu’elle oscillera autour de ce niveau cette année et l’an prochain, en raison de la baisse des prix de l’énergie mais aussi parce que la croissance des salaires (4,3 % sur un an en juin) devrait continuer à ralentir, à mesure que les marchés du travail se détendent. Cette détente est déjà perceptible dans la plupart des secteurs industriels. En baissant ses taux directeurs de façon préventive, la BCE montrerait également qu’elle suit effectivement son mantra, la dépendance aux données, qui s’affaiblissent.
Cela étant dit, la question cruciale pour la stabilité de l’économie concerne le niveau du taux « neutre » (terminal), c’est-à-dire le taux d’intérêt qui permet à l’économie de croître à sa vitesse de croisière en maintenant une inflation à 2 %, bref le taux d’intérêt qui ni ne pèse sur l’économie, ni ne la stimule. Les marchés le voient autour de 2 %. Il se peut qu’il soit supérieur à ce chiffre, compte tenu des changements structurels auxquels font face la zone euro comme l’économie mondiale. Mais il y a fort à parier qu’il est inférieur à 3 %.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking