La BCE va bientôt baisser ses taux, mais jusqu’où ?
La BCE a largement télégraphié une baisse de ses taux directeurs en juin. A moins d’une énorme surprise, son principal taux directeur sera ramené de 4 % à 3,75 %. Elle ne devrait pas en rester là, et le consensus s’attend à une baisse en septembre à 3,5 %. La suite est plus incertaine. Ces premiers assouplissements de la BCE seront rendus possibles car l’inflation baisse rapidement, 2,4 % sur un an en avril, loin des chiffres de 2022 et début 2023. A la fin de l’été, elle pourrait même descendre en dessous de 2 %, grâce à la désinflation des prix de l’énergie et de l’alimentation.
Les banques centrales ont pour habitude de suivre de près l’inflation domestique, hors énergie et alimentation, car elle est moins volatile que l’inflation totale et, sur le moyen terme, finalement très proche de l’inflation totale. Elle ralentit, mais plus modérément. Elle s’affichait à 2,7 % sur un an en avril, mais son rythme des trois derniers mois est de l’ordre de 3,5 % l’an. Pour que la BCE se sente à l’aise pour continuer à baisser son principal taux directeur, il faudra probablement que celle-ci passe en dessous de 2,5 % l’an.
La BCE, comme la plupart des économistes, a dessiné un scénario plausible pour que cette trajectoire d’inflation domestique se matérialise. La première hypothèse critique concerne les marges des entreprises. Les marges unitaires progressaient de 4 % sur un an fin 2023. La BCE anticipe un changement brutal et les voit baisser de 3 % sur un an en fin d’année. L’idée est que le pouvoir de fixation des prix des entreprises, fort en 2022 et 2023, se renverse cette année, du fait d’une moindre demande. C’est possible, même si les premiers résultats de ce début d’année ne pointent pas dans cette direction. La seconde hypothèse critique concerne le ralentissement des coûts salariaux unitaires, autrement dit les coûts salariaux déflatés des gains de productivité. Fin 2023, ils progressaient de 5,9 % sur un an. La BCE anticipe qu’ils ralentiront à 3 % sur un an fin 2024, non pas tant en raison de la moindre progression des salaires (elle resterait supérieure à 4 % l’an), mais grâce à des gains de productivité retrouvés. La productivité du travail reculait de 1,1 % sur un an fin 2023 et la BCE attend ces gains en progression de 0,9 % en fin d’année. C’est plausible, si l’on considère que la faible productivité observée l’année passée est d’origine cyclique. L’idée est que, l’an passé, face à la faiblesse de la demande consécutive à la forte inflation, les entreprises auraient préféré éviter de couper dans l’emploi. Elles auraient tenu compte des fortes difficultés de recrutement et espéré que l’horizon s’éclaircisse.
Théoriquement, un tel scénario sur les marges des entreprises et les coûts salariaux unitaires permettrait à l’inflation domestique de passer en dessous de 2,5 % en fin d’année et de tomber, à l’été 2025, au niveau de la cible des 2 %. La BCE pourrait alors enclencher de nouvelles baisses des taux directeurs. Les marchés anticipent que la BCE baissera son principal taux directeur jusqu’à 2,5 %, ce qu’on appelle le taux terminal.
«La question de l’ampleur de baisses de taux de la BCE revient à se demander quel est le taux « neutre », c’est-à-dire le taux d’intérêt qui permet à l’économie de croître à sa vitesse de croisière en maintenant une inflation à 2 %.»
Ce scénario est plausible, mais n’est pas assuré. Par rapport aux derniers points connus, qu’il s’agisse des marges des entreprises ou du redressement de la productivité, la marche est haute. Les risques sont clairement que l’inflation domestique résiste et qu’alors l’inflation totale rebondisse. Une éventuelle hausse des prix du pétrole, en raison des tensions géopolitiques, renforce ces risques.
In fine, la question de l’ampleur de baisses de taux de la BCE revient à se demander quel est le taux « neutre » (terminal), c’est-à-dire le taux d’intérêt qui permet à l’économie de croître à sa vitesse de croisière en maintenant une inflation à 2 %. Un taux supérieur à ce niveau est restrictif : dans ce cas, l’économie est à la peine et l’inflation ralentit. La banque centrale peut donc baisser ses taux directeurs jusqu’au taux neutre. Mais l’incertitude est grande sur celui-ci. Il y a un an, les marchés l’anticipaient à 1,5 %, il y a deux ans, à 0,5 %. Une telle variation illustre le faible degré de confiance dans la définition d’une politique monétaire neutre. Des changements structurels importants se sont opérés depuis la pandémie et depuis, un voile d’ignorance couvre ce taux neutre. Il pourrait tout aussi bien être plus élevé ou plus faible que 2,5 %. Cela suggère que la banque centrale devra agir graduellement, de façon à découvrir, baisse après baisse, si sa politique monétaire est toujours restrictive.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking
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