La BCE va probablement devoir s’atteler à une réduction plus rapide de son bilan
La Banque centrale européenne (BCE) a relevé mi-septembre son principal taux directeur de 25 pb, à 4 %. Désormais, les marchés financiers anticipent des baisses des taux directeurs à partir de l’été prochain. Nous pensons, au contraire, que celles-ci n’interviendront pas avant 2025 et nous n’excluons pas de nouvelles hausses d’ici là. Notre conviction est que la BCE se focalisera l’an prochain sur la réduction accélérée de la taille de son bilan. Ce qui pourrait pousser les taux des obligations d’Etat à la hausse, poursuivant le mouvement commencé depuis l’été 2022.
Le pic d’inflation est désormais derrière nous. Elle a baissé de 10,6 % sur un an en octobre à 4,5 % en septembre en zone euro. La raison tient essentiellement aux prix de l’énergie, qui ont baissé par rapport à l’an dernier. Toutefois, historiquement, l’inflation converge toujours vers l’inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation. Elle aussi a baissé, passant d’un pic de 5,7 % sur un an en mars à 4,8 % en septembre. Mais les fondamentaux restent préoccupants.
D’une manière générale, le diagnostic à poser sur la situation actuelle est celle d’une économie en tension, contrainte par l’offre, et non la demande, comme cela a pu être le cas pendant des décennies. Dans les enquêtes sur les facteurs qui limitent leur production, les entreprises ne mentionnent pas, à quelques exceptions près comme les secteurs manufacturiers gourmands en énergie, le manque de demande, mais, au contraire, la difficulté à trouver des équipements (pour l’industrie) et surtout du personnel, et ce dans tous les secteurs. Dans les prochains trimestres, on peut s’attendre à ce que les goulots d’étranglement qui subsistent dans certains secteurs industriels (matériels de transport en particulier) se résorbent. Dans ces secteurs, l’excès de demande sur l’offre devrait progressivement disparaître. L’inflation des prix des biens manufacturiers devrait alors se normaliser.
L’inquiétude concerne les prix des services dont la source principale d’inflation réside dans les salaires. La hausse des salaires a atteint 5,5 % sur un an en juin en zone euro. Combinée à une faible productivité, qui s’explique en grande partie par une baisse du temps de travail, les coûts salariaux unitaires ont progressé de 6,5 % sur un an. Or la relation économétrique entre ces coûts et l’inflation sous-jacente est très fiable. Pour que l’inflation domestique/sous-jacente revienne vers 2 %, il ne faut pas que les coûts salariaux unitaires dépassent 2,5-3 % l’an. Ces hausses importantes des salaires tiennent à des marchés du travail qui n’ont jamais été aussi tendus en plus de quarante ans. Le taux de chômage est tombé à 6,4 % en zone euro, un plus bas historique. A 70,6 %, le taux d’emploi est à un plus haut de mémoire de statisticiens, et il y a désormais deux chômeurs par emploi vacant, contre sept de 2000 à 2015… Il y a des raisons de penser que ces tensions sont structurelles : du fait du vieillissement démographique, la population en âge de travailler ne progresse guère et devrait reculer de 0,2 % par an d’ici 2030. C’est un changement colossal, qui s’accélère depuis 2019. Même une faible croissance permet désormais de faire baisser le chômage, aggravant les tensions sur le marché du travail.
Nos modèles suggèrent que pour que l’inflation sous-jacente revienne vers 2 %, les politiques économiques, monétaire et budgétaire, devraient se durcir. Du côté des Etats, le redressement des comptes publics s’opérera en 2024 par la fin des mesures exceptionnelles, prises ces dernières années pour lutter contre le Covid et l’inflation des prix de l’énergie (fin des boucliers tarifaires). Mais leur effet sur la demande devrait être limité, notamment parce que les prix de l’énergie ont fortement reflué. La BCE devra donc rester aux manettes dans les prochains mois. Pas tant du côté des taux courts que du côté des taux longs. Du fait du recours massif au QE (achats de titres obligataires), les taux longs restent faibles en termes réels, même après leur hausse récente (0,7 % à cinq ans). Dit autrement, la configuration actuelle de la courbe des taux et le faible durcissement budgétaire limitent fortement l’efficacité de la hausse des taux directeurs. Si notre diagnostic est le bon, la BCE devra changer de braquet dans la réduction de la taille de son bilan, si elle désire réellement ramener l’inflation à 2 %. Il faudrait alors accélérer le QT (baisse du réinvestissement des titres obligataires que la BCE détient). Les taux longs augmenteraient alors fortement.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking
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