La BCE risque de décevoir

Publié le 21 novembre 2014 à 16h22

Michel Martinez

Début novembre, le président Draghi a indiqué que la BCE «s’attendait» à ce que la taille de son bilan augmente de 1 000 milliards d’euros d’ici fin 2016. Du coup, une majorité des opérateurs de marché s’est mise à anticiper que la BCE allait acheter des obligations d’Etat dans les prochains mois. Le risque est que la BCE déçoive, qu’il s’agisse des conditions de son action ou, surtout, de l’efficacité économique de celle-ci. Plus globalement, la BCE à elle seule ne peut pas améliorer significativement les perspectives économiques. La plupart des décisions importantes sont entre les mains de gouvernements.

Les opérateurs de marché risquent d’abord d’être déçus à court terme. Après les déclarations récentes du président Draghi, qui s’inquiète des anticipations d’inflation, certains attendent des nouvelles annonces dès la réunion de décembre. C’est prématuré, car la BCE va vouloir attendre le résultat de l’opération de refinancement des banques à quatre ans (TLTRO) du 11 décembre avant d’en faire plus.

Il est douteux que les opérations en cours de la BCE puissent augmenter son bilan de 1 000 milliards d’euros. En premier lieu, les TLTRO ont déçu en septembre et cela pourrait être le cas en décembre et dans les mois qui suivent. En effet, les banques disposent d’importants dépôts et font face à une faible demande de crédit. Notre sentiment est que ces nouvelles opérations de refinancement compenseront les opérations à trois ans lancées début 2012 et qui expirent en février 2015, mais guère plus. En second lieu, la BCE a lancé ces dernières semaines deux programmes d’achat de titres obligataires, nommés CBPP3 et ABSPP. Le premier correspond à des obligations sécurisées par des crédits hypothécaires (covered bonds), le second (ABS) à des titrisations adossées à divers actifs (crédits auto, crédit immobilier non résidentiel, crédits aux PME…). Compte tenu des contraintes que s’impose la BCE en termes de qualité de signature et d’emprise, l’univers d’achat de ces titres représente 1 000 milliards d’euros. Une hypothèse raisonnable pour conserver un minimum de liquidité sur ces segments de marchés et de préserver l’intérêt des opérateurs privés sur le long terme suppose que la BCE ne détiendrait pas plus de 20 % de ces titres, soit 200 milliards d’euros d’ABS et de covered bonds.

Nous considérerons que la BCE complétera ces programmes par des achats d’obligations d’entreprises ou d’agences européennes (BEI, ESM…) début 2015. En prenant des hypothèses similaires à celles des ABS et covered bonds, la BCE pourrait acheter 200 à 300 milliards d’euros de titres supplémentaires. Au total, le bilan de la BCE n’augmenterait que de 450 à 550 milliards d’euros, soit loin des 1 000 milliards anticipés par Mario Draghi.

Ces calculs expliquent pourquoi les opérateurs de marchés pensent majoritairement que la BCE achètera des obligations d’Etat (QE). L’univers d’achat est suffisamment large pour augmenter le bilan de la BCE de 1 000 milliards, voire plus si besoin. Nous pensons qu’une telle solution, si elle arrivait, prendrait beaucoup de temps et se ferait sous de nombreuses conditions qui en limiteraient fortement l’impact. Certains pays, comme l’Allemagne, sont très réticents, au motif que de tels achats pourraient freiner les velléités de réformes. L’article 123 du traité interdit le financement monétaire des Etats, ce qui implique que la BCE n’achèterait que les meilleures signatures et ne pourrait probablement pas être pari passu avec les autres investisseurs en cas de restructuration de la dette. Pour éviter la critique que la BCE intervient sur le terrain de la politique budgétaire, elle devrait probablement pondérer ses achats par les risques afférents à ces titres. L’ensemble de ces contraintes suggère que de tels mécanismes prendront du temps et que le résultat final serait beaucoup plus incertain que les expériences de QE américaine, britannique et japonaise. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que l’action de la politique monétaire est de nature essentiellement transitoire. Le réel potentiel de croissance et, par là même, les anticipations d’inflation dépendent de l’efficacité des économies. C’est là l’enjeu des réformes.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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