La présence de salariés dans les conseils d’administration : quel impact pour les entreprises ?
La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 impose désormais aux sociétés anonymes qui emploient à la clôture de deux exercices consécutifs au moins 5 000 salariés permanents d’avoir des représentants des salariés au sein de leur conseil d’administration ou de surveillance (deux salariés dans les conseils de plus de 12 membres et un salarié pour les autres).
Les sociétés qui remplissent ces conditions à la date de la promulgation de la loi devront insérer dans leurs statuts les modalités de désignation ou d’élection des membres représentant les salariés avant le 31 décembre 2014. En pratique, ces modifications statutaires seront votées lors des assemblées générales 2014. Soulignons que des salariés sont déjà administrateurs de certaines sociétés (celles qui sont issues de privatisations) ou en tant que représentants des salariés actionnaires (pour les sociétés dont les salariés détiennent plus de 3 % du capital). Ces administrateurs ont les mêmes droits et devoirs que les autres. Le tableau européen est hétérogène dans ce domaine.
Aucune représentation des salariés au conseil n’est prévue au Royaume-Uni, en Italie ou en Belgique, tandis qu’elle ne concerne que les entreprises publiques en Espagne, Grèce, Irlande et Portugal. Les salariés représentent entre un tiers (500 à 2 000 salariés travaillant en Allemagne) et la moitié des administrateurs en Allemagne (plus de 2 000 salariés), un tiers en Autriche (plus de 300 salariés), deux à trois membres selon la taille en Suède et un membre au moins en Norvège (1).
La présence d’administrateurs salariés dans les conseils est-elle susceptible de modifier les décisions financières des entreprises ? Est-elle bénéfique pour la valorisation de l’entreprise ? Les détracteurs de la présence de salariés dans les conseils estiment que le fait d’introduire des représentants des «stakeholders» complique la prise de décision du conseil et affaiblit celui-ci, brouille les objectifs, et dans certains cas conforte les dirigeants. Ils soulignent que les salariés ne sont pas une population homogène et que leurs intérêts sont trop divergents pour qu’une représentation au conseil soit efficace.
Et enfin, ils pensent que les mécanismes contractuels sont préférables à la participation directe aux décisions via le conseil. Les défenseurs des salariés administrateurs soulignent que les salariés apportent de l’information interne et pertinente au conseil, l’aident à prendre des décisions plus éclairées et participent à une sorte de gouvernance interne des dirigeants. Par ailleurs, le fait que des salariés soient présents au conseil renforce l’effet positif pour l’entreprise de l’actionnariat salarié. Plusieurs études se sont intéressées au cas allemand. Gorton et Schmid (2004) montrent que les sociétés allemandes avec une représentation paritaire des actionnaires et salariés dans les conseils ont une moins bonne performance financière que celles dont la représentation des salariés est d’un tiers. Etudiant des firmes allemandes cotées dont certaines choisissent d’avoir plus de salariés au conseil que le minimum requis, Fauver et Fuerst (2006) observent une amélioration de la performance pour certaines de ces firmes, à savoir celles opérant dans des industries complexes nécessitant une coordination et des compétences spécifiques des employés : les salariés représentés au conseil ont une incitation plus forte aux investissements de capital humain dans l’entreprise. Une étude récente (2) montre qu’en présence d’un choc affectant leur secteur, les entreprises dont le conseil est composé à moitié de salariés licencient moins leurs employés qualifiés.
En contrepartie, ceux-ci paient une prime d’assurance sous forme d’une rémunération de 3 % inférieure. Les salariés non qualifiés ne sont pas concernés par ce mécanisme. Dans notre étude du cas français (3), nous nous intéressons aux deux types d’administrateurs salariés : les administrateurs élus par les salariés et les administrateurs représentant les actionnaires salariés. Sur la période 1998-2010, 10,2 % des entreprises du SBF 120 ont des administrateurs élus par les salariés, 11,6 % des administrateurs représentant les salariés actionnaires et 3,4 % des sociétés ont les deux types d’administrateurs au sein de leurs conseils. Nos résultats montrent tout d’abord que la présence d’administrateurs représentant les salariés actionnaires augmente la performance opérationnelle (mesurée par la rentabilité économique) et boursière (mesurée par le Q de Tobin, ratio rapportant la valeur de marché de l’actif à sa valeur comptable) des entreprises, toutes choses égales par ailleurs.
Elle n’a pas d’influence significative sur la politique de distribution de dividendes ou le nombre de réunions du conseil. Les administrateurs représentant les salariés (ceux que la nouvelle loi va généraliser) réduisent quant à eux de manière significative les montants versés aux actionnaires en particulier sous forme de rachats d’actions. Leur présence tend à accroître le nombre de réunions, mais n’a pas d’impact significatif sur la valeur des firmes et leur profitabilité.
1. Des informations sur la représentation des salariés dans les conseils en Europe peuvent être trouvées au lien suivant : Représentation des salariés aux conseils des entreprises
2. Kim, Maug et Schneider, 2013, Labor Representation in Governance as an Insurance Mechanism, Université de Mannheim.
3. Edith Ginglinger, William Megginson and Timothée Waxin, 2011, Employee ownership, board representation and corporate financial policies, Journal of corporate finance, 17, 868-887. : Référence http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1252645
Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine
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