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La réglementation ESG change l’allocation des fonds, mais non le comportement des entreprises polluantes
Depuis 2015, la loi impose aux fonds de détailler leurs impacts climatiques. Cette législation, si elle conduit effectivement les fonds à moins financer les entreprises polluantes, n’amène pas nécessairement celles-ci à modifier leur mode de production. Pour y parvenir, l’engagement des investisseurs et leur potentielle coalition avec d’autres parties prenantes est une des voies d’avenir, s’agissant surtout de secteurs comme l’énergie.
Les questions extra-financières, en particulier les évolutions climatiques, préoccupent de plus en plus les citoyens. Même si elles ne font pas toujours l’unanimité, loin s’en faut, elles inspirent de plus en plus de lois et de normes, en particulier en Europe. Comme ces nouveaux cadres s’imposent à tous, il est intéressant d’analyser comment ils modifient les comportements et si ces lois atteignent leurs objectifs. La mesure des effets de nouvelles réglementations fait, à cette fin, l’objet de nombreuses recherches empiriques, dont deux récentes, qui analysent les évolutions des comportements des gérants d’actifs et des investisseurs dans ces fonds, investis en actifs cotés ou non cotés.
Dans « Effects of mandatory climate-related information disclosure on mutual funds », deux chercheurs lyonnais s’intéressent aux effets de la loi française de 2015 concernant la transition énergétique sur les portefeuilles des fonds français de plus de 500 millions d’euros, les obligeant à expliciter leurs impacts climatiques (rapport article 173). Ces chercheurs montrent que les empreintes carbone des entreprises en portefeuille ont davantage diminué que celles des fonds équivalents anglais ou allemands pendant les années suivant l’adoption de cette loi ; que cette diminution n’affecte pas davantage les fonds destinés aux institutionnels que ceux destinés aux particuliers ; et enfin que la diminution est nettement plus prononcée pour les fonds labellisés ISR ou dont les sociétés de gestion sont membres des UN PRI (Principles of Responsible Investing). Par ailleurs, leur analyse détaillée des fonds montre que les diminutions sont obtenues davantage en réallouant les portefeuilles vers les entreprises moins polluantes que par la diminution des émissions des entreprises en portefeuille.
Dans l’article intitulé « ESG Incidents and Fundraising in Private Equity » trois chercheurs analysent le marché américain du private equity, en plein essor, et les politiques ESG des gérants de ces fonds. Ils s’intéressent aux controverses affectant les entreprises détenues par plus de 700 fonds gérés par environ 350 entreprises en considérant leurs effets sur les réinvestissements ultérieurs des porteurs de ces fonds. En effet, les investisseurs ne peuvent sortir de ces fonds, sauf à les revendre avec décote sur un marché secondaire encore peu développé, mais peuvent, après la liquidation d’un fonds, décider de réinvestir ou non dans un nouveau fonds proposé par la même société de gestion. De fait, les chercheurs montrent que la propension à réinvestir est fortement diminuée lorsque les controverses ont été plus nombreuses que dans les autres fonds.
Des changements réglementaires aux effets notables
Ces articles, comme beaucoup d’autres du même acabit, illustrent que les changements légaux et réglementaires ont bien un effet sur les comportements des gérants des fonds comme sur les investisseurs dans ces fonds, ce qui est heureux. Les sociétés de gestion françaises semblent même, d’après la première étude, généraliser leur changement de politique de gestion à l’ensemble des fonds qu’elles gèrent, au-delà de ce que vise la loi. La deuxième étude montre qu’en dépit des réticences américaines sur les questions extra-financières, leur influence est tangible, y compris dans le non-coté, avec un effet retard dû à ce type de placement bien entendu.
Pourtant, la première étude montre que l’effet le plus notable, dans les années qui ont suivi l’adoption de la loi française, est le remplacement des titres des entreprises les plus émettrices par ceux des entreprises les moins émettrices de CO2. Si le but de la loi est la transition des entreprises vers un cadre économique plus compatible avec la préservation à long terme des ressources de la planète et la prise en compte des aspects sociaux, il reste encore beaucoup à faire. Cette substitution renchérit certes le coût du capital des entreprises plus polluantes mais elle ne les conduit pas nécessairement à modifier leur dispositif de production. Pour y parvenir, l’engagement des investisseurs et leur potentielle coalition avec d’autres parties prenantes sont une des voies d’avenir, surtout dans les secteurs les plus concernés comme celui de l’énergie par exemple.
Jean-François Gajewski et Linh Tran Dieu, « Effects of mandatory climate-related information disclosure on mutual funds » Conférence AFFI, Lille, mai 2024
Teodor Duevski, Chhavi Rastogi, Tianhao Yao, « ESG Incidents and Fundraising in Private Equity », Inquire Europe Seminar, Valence, octobre 2024
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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