L'analyse de Jean-Florent Rérolle

L’activisme actionnarial à l’assaut du « greenwashing »

Publié le 18 juin 2021 à 15h00

Jean-Florent Rérolle

Une grande victoire pour le climat. Contre toute attente, elle est due à un fonds d’investissement activiste : Engine n° 1. Détenteur de seulement 0,02 % du capital d’Exxon, celui-ci a réussi à faire élire à la fin du mois de mai trois administrateurs au Conseil du groupe, en promettant d’inscrire plus vigoureusement sa stratégie dans le cadre d’un monde décarboné. Ce coup d’éclat est emblématique d’une tendance de fond : l’intérêt croissant des investisseurs pour les questions d’ESG (environnement, social et gouvernance).

Cet intérêt n’est pas nouveau. Depuis de nombreuses années, des fonds ISR ont développé des stratégies d’exclusion, d’investissement dans les best-in-class et d’engagement actionnarial pour inciter les entreprises à adopter des comportements vertueux. Lorsque la réglementation le permet (comme aux Etats-Unis), certains n’hésitent pas à déposer des résolutions en assemblée générale afin d’obliger les émetteurs à être plus transparents sur leur politique environnementale.

Ces pionniers ont été rejoints par la plupart des grands investisseurs institutionnels, dont les politiques de vote expriment des positions précises à l’égard des entreprises. Aux exigences classiques sur les structures de gouvernance se sont ajoutées des attentes environnementales et sociales spécifiques. Cette mobilisation croissante résulte de la pression combinée de la réglementation, de la sensibilité d’une nouvelle génération d’épargnants, de la nécessité de retrouver une légitimité entamée par les crises successives et de l’impossibilité de céder leurs actions dans le cadre d’une stratégie d’investissement largement indicielle.

L’irruption des fonds activistes dans le débat sur l’ESG n’est pas étonnante. Leur capacité à faire plier les entreprises dépend de la mobilisation des autres actionnaires lors des assemblées. Les dysfonctionnements de gouvernance étaient déjà des thèmes classiques de leurs campagnes. L’intérêt croissant pour l’ESG leur donne des arguments supplémentaires que les grands investisseurs peuvent difficilement écarter.

L’influence, voire la pression, sur les entreprises de la part de tous les investisseurs va donc s’accentuer. Les fonds traditionnels s’organisent pour traiter plus efficacement ces questions. Outre les équipes internes mises en place, des initiatives collaboratives voient le jour. Elles peuvent être temporaires, comme celles qui surgissent des contacts opportunistes favorisés par des plateformes collaboratives (comme celle du PRI), mais beaucoup s’engagent désormais dans des actions de long terme (comme Climate Action 100+).

Soumis eux-mêmes à des obligations de transparence sur leurs politiques de vote et d’engagement, les grands fonds pourront difficilement se soustraire à leurs promesses. Les révélations sur les incohérences de la gouvernance, de la stratégie d’investissement ou la politique de vote de BlackRock constituent à cet égard un avertissement sérieux.

Les fonds activistes s’équipent également de professionnels sur les sujets ESG. Certains s’y spécialisent, à l’image de TCI qui a lancé une campagne contre le « greenwashing » de certains groupes européens en exigeant l’inscription de résolutions climatiques à leurs AG. Des fonds se sont récemment créés sur cette thématique : Clearway Capital, Inclusive Capital Partners, Impactive Capital. Des stratégies de « short selling » devraient aussi se développer comme l’a montré récemment l’attaque de Hindenburg Research sur Nikola (le Tesla du camion) ou comme le suggère l’association des hedge funds, l’AIMA.

Toutes ces stratégies vont gagner en sophistication grâce à une véritable « explosion » des données ESG. Les entreprises doivent en effet non seulement respecter les réglementations en vigueur (la France a mis en place un reporting ESG particulièrement exigeant), mais aussi répondre aux multiples demandes des agences de notation ou accepter les référentiels recommandés par les investisseurs (le plus souvent le SASB et la TCFD). Il en résulte une certaine anarchie que les régulateurs américains ou européens cherchent à réduire par des projets de standardisation. Cela prendra du temps, mais les investisseurs les plus sophistiqués essayent déjà de se créer un avantage concurrentiel en combinant dans leurs modèles ces informations avec des données récupérées auprès de sources d’information alternative.

Dans cet environnement où elles sont mises à nu, les entreprises doivent éviter les contradictions, les omissions ou les mensonges. Comme l’a montré une étude récente de Rodolphe Durand d’HEC, les activistes savent « flairer le greenwashing ».

Jean-Florent Rérolle Maître de conférences à Sciences Po et membre du comité éditorial de Vox-Fi ,  DFCG

Jean-Florent Rérolle est maître de conférences à Sciences Po et membre du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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