L’Allemagne face à la démondialisation

Publié le 8 mars 2019 à 17h19

Philippe Brossard

L’Allemagne a connu un important ralentissement conjoncturel en 2018, au point de frôler la récession au 2e semestre : après un recul de 0,3 % au 3e trimestre, le PIB a stagné au 4e trimestre. Cela tient à des circonstances particulières : perturbation de la production automobile par les nouvelles normes environnementales des véhicules ; limitation du trafic fluvial par les basses eaux du Rhin de juillet à novembre. Mais les eaux sont remontées… et les enquêtes de confiance auprès des industriels ont encore reculé en janvier et février. Au point qu’on peut se demander si ce recul industriel n’a pas aussi une dimension structurelle.

L’Allemagne a fondé sa politique macro-économique sur la compétitivité extérieure et la maximisation des exportations. Depuis son entrée dans la zone euro, ses exportations de biens et services (en volume) ont doublé, passant de 25 % à 50 % du PIB. Par comparaison les exportations ne représentent que 12 % du PIB aux Etats-Unis, 18 % au Japon, ou 32 % en France. Cette stratégie a paru gagnante avant la crise financière de 2008, dans une phase de mondialisation, où le commerce mondial était en expansion deux fois plus rapide (+ 10 % par an en volume) que le PIB mondial (+ 5 % par an). Mais on semble être désormais entré dans une phase de «démondialisation». Ce mouvement ne se limite pas au protectionniste très assumé des Etats-Unis ou au Brexit. Les crises Renault/Nissan ou encore Air France/KLM montrent que la volonté de mettre désormais en avant des priorités nationales dépasse les pays anglo-saxons. Les statistiques suggèrent que la «démondialisation» s’est amorcée après la crise financière de 2008. Depuis 2012, la progression du commerce mondial en volume (hors effets prix) est à peine supérieure (1,2 fois) à celle du PIB mondial (environ 3 % par an). Les prix du commerce international ont par ailleurs une nette tendance à la baisse. Si bien qu’en valeur courante, le poids du commerce mondial dans le PIB mondial est tombé de 25 % en 2008 à 21 % fin 2018 : il y a bien une démondialisation à l’œuvre.

Le modèle allemand manque désormais d’oxygène. Pourtant, il reste politiquement dominant dans la zone euro, où la stratégie économique recommandée par la Commission européenne et adoptée par la plupart des gouvernements reste focalisée sur l’amélioration de la compétitivité extérieure par des politiques de l’offre (dites «structurelles») et la recherche d’excédents pour les finances publiques, par la hausse des impôts et la baisse des dépenses publiques. Cette recherche d’excédents publics et de réduction de la dépense privée (consommation, investissement) a conduit à des surplus extraordinaires de la balance courante vis-à-vis des autres pays. L’Allemagne a ainsi un excédent courant annuel qui dépasse 6 % du PIB depuis 2011 (8,1 % en 2018 selon le FMI), en violation avec les traités européens. Les Pays-Bas ont même atteint un excédent courant de 10 % du PIB. Ces excédents signalent un excès massif d’épargne, autrement dit une profonde insuffisance d’investissement et de consommation. Ils ont atteint des niveaux pathologiques, qui sont en train d’alimenter la guerre commerciale de demain avec les Etats-Unis. Ceux-ci s’approchent sans doute d’un accord avec la Chine ; mais ils risquent de se tourner ensuite vers l’Europe avec des revendications draconiennes pour un rééquilibrage des échanges. Ces excédents ne semblent pas se traduire par un bien-être supplémentaire pour les populations, si ce n’est l’apparition de taux d’intérêt négatifs, qui devraient réjouir les emprunteurs. Mais les Allemands veulent épargner et non pas emprunter. Le niveau actuel des taux est vu plutôt comme une spoliation des épargnants.

La démondialisation met à jour une crise structurelle de l’Union européenne, que la mondialisation avait masquée, mais qui est ancrée dans le modèle allemand de recherche d’excédents. Il s’agit d’une crise de la demande, dont les signaux macroéconomiques et financiers sont simples et visibles : l’incapacité à revenir vers l’objectif d’inflation de 2 % témoigne d’une sous-utilisation du potentiel économique ; la persistante de taux obligataires faibles ou négatifs dans les principaux pays de la zone euro, découle logiquement de l’excédent d’épargne. La démondialisation met la question d’une relance énergique de la demande publique et privée au premier plan dans la zone euro. Celle-ci en aura-t-elle la volonté politique ?

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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