Le mode de diffusion des résultats d’une entreprise cotée a-t-il de l’importance ?

Publié le 2 septembre 2016 à 17h56

Edith Ginglinger

En présence de marchés efficients, toute information disponible sur l’entreprise, en particulier l’annonce de ses résultats, est immédiatement intégrée dans les cours de l’action. Or de nombreuses études ont mis en évidence l’existence d’un drift après l’annonce : les cours continuent de s’ajuster pendant près de deux mois. Plus précisément, lorsque les résultats annoncés contiennent une surprise (résultats différents du consensus des analystes), les investisseurs n’intègrent pas immédiatement cette nouvelle information dans les cours, et ceux-ci ne reflètent la totalité des informations annoncées que progressivement. Ce constat, qui prévaut aux Etats-Unis et en Europe, offre des opportunités d’arbitrage qui paraissent difficiles à comprendre (de l’ordre en moyenne de 10 % par an pour une stratégie d’achat des actions avec surprises les plus élevées et de vente des actions avec surprises les plus négatives[1]). Les raisons habituellement avancées pour expliquer cette anomalie relèvent de deux champs. En premier lieu, on peut mettre en avant l’inattention des investisseurs : ceux-ci ne peuvent traiter toutes les nombreuses informations disponibles, et certaines leur échappent. Ainsi, des études montrent que les réactions aux surprises de résultats sont moindres les vendredis, pendant les vacances, ou encore les jours où se concentrent de nombreuses annonces de résultats. Les investisseurs peuvent également avoir du mal à mesurer l’importance de l’information ou à l’interpréter. En second lieu, le rôle des médias est pointé du doigt. Lorsqu’un quotidien de référence diffuse une information, celle-ci est plus immédiatement reflétée dans les cours que lorsqu’il s’agit d’une revue confidentielle. Le travail de détection et de mise en relief par les journalistes des informations les plus significatives permet aux investisseurs de prendre conscience de leur existence.

Notre étude[2] s’intéresse à la manière dont les entreprises peuvent elles-mêmes accroître la rapidité d’intégration de leurs informations dans les cours. Elle couvre un échantillon de 1 192 entreprises sur la période 1991 à 2010, et pour 14 pays européens. Nous examinons le recours à des diffuseurs professionnels d’informations (Business Wires) pour des entreprises d’Europe continentale, dont la langue n’est pas l’anglais. Les Business Wires ont été développés aux Etats-Unis depuis plus de 50 ans et la plupart des entreprises américaines les utilisent depuis fort longtemps. Même si aujourd’hui, près de 80 % des entreprises européennes cotées font appel à leurs services, leur développement en Europe est récent. Il a en particulier été favorisé par la directive européenne «transparence» de 2004 (transposée en France en 2007), qui a de surcroît encouragé les entreprises à utiliser une «langue habituelle dans la sphère financière internationale», c’est-à-dire l’anglais, pour leur communication vers le marché. Dans notre article, nous examinons la manière dont l’attention des investisseurs est modifiée lorsqu’une entreprise européenne fait appel à un diffuseur professionnel. Celui-ci lui permet de bénéficier tout à la fois d’une diffusion électronique et simultanée de ses annonces à toutes ses cibles (AMF, Euronext, médias financiers, sites web, bases de données) et d’une diffusion en anglais (le plus souvent en parallèle de la langue de leur pays) afin de toucher également les investisseurs internationaux qui ne maîtrisent pas la langue locale.

Nous montrons qu’à partir du moment où elles utilisent un diffuseur professionnel, les entreprises européennes voient la réaction immédiate à leurs annonces de résultats s’accroître, tandis que le «drift» ou ajustement progressif et tardif sur les deux mois suivants diminue : alors que, toutes choses égales par ailleurs, avant le recours à un diffuseur professionnel, la réaction initiale (le jour de l’annonce et le lendemain) représentait 20 % de la réaction totale depuis le jour de l’annonce jusqu’à 60 jours après, elle passe à 47 % après ce recours. Cette attention accrue des investisseurs se traduit également par une augmentation des volumes de transaction de près de 9 %. Par ailleurs, la visibilité des entreprises est améliorée, le nombre d’articles diffusés par Reuter et Dow Jones augmentant en moyenne de 33 % après l’adoption d’un diffuseur professionnel. Enfin, le nombre d’analystes et le nombre d’actionnaires s’accroissent également.

En conclusion, le recours à des diffuseurs professionnels d’information et l’usage de l’anglais permettent d’accroître l’attention des investisseurs aux informations émanant des entreprises, avec des conséquences positives sur le marché de l’action.

[1]. Voir Chordia et Shivakumar, 2006, Earnings and Price Momentum. Journal of Financial Economics, 80, 627-656.

[2]. Romain Boulland, François Degeorge et Edith Ginglinger, 2016, News Dissemination and Investor Attention, Review of Finance, à paraître, disponible au lien suivant : rof.oxfordjournals.org/content/early/2016/05/07/rof.rfw018.full

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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