Les métaux , la vulnérabilité stratégique américaine
La rivalité sino-américaine s’organise de plus en plus autour des enjeux de transition vers une économie bas carbone, avec la volonté d’accéder au leadership dans les technologies vertes ou les énergies propres. En retard dans la transition, les Etats-Unis ont mis un coup d’accélérateur avec la loi sur la réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act (IRA), dotée d’une enveloppe fiscale de 370 milliards de dollars pour soutenir les industries vertes américaines. La loi introduit des subventions ou crédits d’impôt pour les investissements sur le sol américain dans les énergies propres et les technologies vertes, ainsi que des subventions à l’achat de véhicules électriques « made in America ». La suprématie technologique reste également un enjeu de puissance. Le Chips Act, voté en août 2022, prévoit des investissements de plus de 250 milliards de dollars, en utilisant le levier des aides d’Etat, pour revitaliser la position des Etats-Unis dans la recherche, le développement et la fabrication de semi-conducteurs.
Cependant, ces objectifs de domination technologique et de rattrapage industriel accéléré pourraient se heurter à la « vulnérabilité stratégique » des Etats-Unis face à la mainmise de la Chine sur de nombreux minerais ou métaux nécessaires aux technologies de pointe ou bas carbone. Avec la mondialisation, la production minière, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, a été délocalisée vers des pays offrant des coûts de main-d’œuvre plus faibles et des réglementations environnementales moins contraignantes. D’ailleurs, ces activités d’extraction et de raffinage des métaux étant très consommatrices en eau et en produits chimiques polluants, les producteurs miniers étrangers, notamment chinois, ont longtemps assumé un coût écologique que ne voulaient pas supporter les Occidentaux.
Cette mise sous dépendance n’était pas perçue comme dangereuse jusqu’à la crise des terres rares de 2010, sous le mandat de Barack Obama. La suspension par la Chine des exportations de terres rares vers le Japon en réponse à des disputes territoriales, a provoqué une prise de conscience brutale et remis la criticité des approvisionnements en minerais au centre des préoccupations. Sous le mandat de Donald Trump, la politique minière américaine est devenue un enjeu de défense nationale, le président allant jusqu’à déclarer l’« état d’urgence », les risques sur les approvisionnements en minerais critiques étant qualifiés de « menace extraordinaire » pour la sécurité du pays. L’Administration Biden a poursuivi, voire intensifié, la politique de sécurisation des approvisionnements et a utilisé à deux reprises, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le Defense National Act1 (loi de défense nationale) pour garantir la fourniture de minerais indispensables à la transition énergétique comme le lithium, le nickel ou le cobalt.
«Déployer une diplomatie minière pour nouer des liens de coopération avec des pays amis est un moyen pour les Etats-Unis de sécuriser les approvisionnements étrangers. »
La stratégie américaine pour réduire les dépendances dans le secteur des métaux, et en priorité ceux considérés comme critiques, consiste à actionner plusieurs leviers. Il s’agit en premier lieu de relancer l’exploration et la production minière sur le sol américain. Le cas de la mine de terres rares de Mountain Pass en Californie est emblématique. Cette mine de premier plan mondial dans les années 1960 a vu ses activités péricliter à la fin des années 1990 avant d’être déclarée en faillite en 2015. Grâce à des aides du département de la défense, l’activité minière a finalement repris en 2018 et des capacités de traitement ont même été ajoutées. Les Etats-Unis misent également sur le développement de filières de recyclage, un moyen de réduire à la fois les importations de métaux et les externalités environnementales. D’autres options complémentaires peuvent être envisagées avec un soutien financier à l’innovation et à la recherche de matériaux de substitution. La constitution de stocks stratégiques est un autre moyen d’assurer la résilience de l’économie américaine face aux aléas géopolitiques. Cela dit, ces solutions ne vont pas suffire à couvrir l’ensemble des besoins prévus en forte croissance, d’où la nécessité de sécuriser des approvisionnements étrangers en déployant une diplomatie minière pour nouer des liens de coopération avec des pays amis. A cet égard, le Canada ou l’Australie, deux grands pays miniers et alliés traditionnels des Etats-Unis, restent des sources privilégiées d’approvisionnement. Le président américain Joe Biden a également noué un nouveau partenariat économique en Asie-Pacifique (Indo-Pacific Economic Framework) avec une dizaine de pays, Chine exclue, qui vise notamment à sécuriser les chaînes d’approvisionnement en incluant un volet sur les métaux critiques. La Maison-Blanche multiplie enfin les mains tendues aux pays africains producteurs de minerais stratégiques, en se positionnant par exemple sur le projet d’exploitation de graphite au Mozambique ou en soutenant la Zambie, la République démocratique du Congo et l’Angola dans leur projet d’extension du corridor de Lobito afin de relier les mines de cuivre et de cobalt de la région aux marchés mondiaux.
Toutefois, avec l’explosion de la demande mondiale de ces métaux, devenus le nouvel or noir de la transition, le chemin de l’indépendance vis-à-vis d’une Chine ultradominante s’annonce long. De quoi empêcher les Etats-Unis de jouir d’une pleine autonomie stratégique et les inciter à gérer de manière équilibrée les dépendances mutuelles.
1. Cette loi a été adoptée en 1950 pendant la guerre de Corée pour soutenir la production de biens et services nécessaires à la sécurité nationale.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
Du même auteur
Le protectionnisme à l’américaine
De Trump à Biden, on assiste au retour du nationalisme économique aux Etats-Unis avec une nouvelle…