Le risque climatique affecte-t-il la structure financière des entreprises ?

Publié le 8 février 2019 à 15h27    Mis à jour le 27 mars 2020 à 16h26

Edith Ginglinger

Par rapport à l’époque préindustrielle, le monde s’est réchauffé de 1 °C en moyenne, et, à l’horizon 2100, ces variations devraient s’établir entre + 2 et + 4 °C. Or dès à présent, le changement climatique a des effets sensibles sous la forme d’une élévation du niveau de la mer et de catastrophes naturelles liées aux conditions météorologiques, telles que sécheresses, tempêtes, vagues de chaleur, inondations et fortes pluies : ces événements ont été multipliés par trois depuis les années 1980, tandis que le montant des sinistres couverts par les assurances relatifs à ces événements a été multiplié par cinq. Pour les entreprises et les institutions financières, le changement climatique se traduit par trois types de risques : le risque physique, qui affecte la valeur des actifs, le risque juridique encouru par les entités potentiellement responsables du changement climatique (par exemple, les émetteurs de carbone), et le risque de transition, qui résulte des processus d’ajustement des activités des entreprises vers une économie peu émettrice de carbone (par exemple, remplacer les centrales au charbon par des éoliennes).

Les investisseurs sont-ils conscients de ces risques climatiques et évaluent-ils leurs conséquences ? Plusieurs études montrent que ce n’est pas totalement le cas. Par exemple, il semblerait que les marchés actions n’intègrent pas les effets de l’aggravation prévisible de la sécheresse sur les entreprises agricoles qu’elle pourrait concerner avant leur matérialisation effective, ou que, de façon générale, les cours des actions ne réagissent pas aux nouvelles climatiques qui pourraient affecter très directement les activités des entreprises. Une large enquête auprès d’investisseurs institutionnels confirme que ceux-ci trouvent le risque climatique difficile à évaluer et qu’ils pensent que les valeurs des actifs ne le reflètent pas totalement.

Mais de quelle manière le risque climatique peut-il impacter la structure financière des entreprises ? C’est la question que nous examinons dans un article récent[1]. En premier lieu, le risque climatique affecte la valeur de certains actifs. Par exemple, une étude récente réalisée aux Etats-Unis constate que les actifs immobiliers exposés à l’élévation à long terme du niveau des océans se vendent avec une décote de 7 % environ par rapport aux actifs équivalents non exposés. Or toutes les études de la structure financière des entreprises montrent que l’endettement croît avec les actifs tangibles détenus. La diminution de la valeur de ces actifs peut ainsi entraîner une réduction de la capacité d’endettement de l’entreprise concernée. En second lieu, les risques climatiques génèrent des coûts opérationnels plus importants, comme des frais de délocalisation de certaines activités et des primes d’assurance accrues, entraînant une baisse des profits et de la capacité de remboursement. Là encore, ces constats devraient réduire le taux d’endettement des entreprises exposées à un risque climatique élevé.

Dans notre article, nous examinons le taux d’endettement à long terme des entreprises appartenant à l’indice MSCI World sur la période 2010-2017. Pour apprécier le risque climatique physique, nous utilisons les mesures CRIS (Climate Risk Impact Screening)[2], une méthode d’analyse des risques physiques du changement climatique à destination des acteurs financiers, proposée par la société Carbone 4. Nous montrons qu’avant 2015, le risque climatique n’a que peu d’impact sur l’endettement à long terme des entreprises. En revanche, après 2015, l’endettement des entreprises diminue avec le risque climatique. 2015 est l’année de la COP21 à Paris, mais aussi de l’appel de Mark Carney, alors président du FSB (Financial Stability Board), à développer des recommandations en matière de publications des risques climatiques, afin que tous les acteurs financiers soient mieux informés. Cette prise de conscience accrue du risque climatique par l’ensemble des acteurs financiers a conduit les entreprises les plus à risque dans ce domaine à réduire leur endettement à long terme d’environ 5 %. On pourrait penser que le risque climatique n’est qu’un facteur parmi d’autres du risque de crédit de l’entreprise. Ce n’est pas le cas, il s’agit vraiment d’un risque supplémentaire. Nous montrons en effet que le risque climatique n’est aucunement reflété par les notes de crédit accordées par les grandes agences de notation. De plus, nous montrons que les entreprises qui ne sont pas notées par les agences de notation, et qui donc n’ont pas accès aux marchés pour se financer par obligations, sont plus impactées par le risque climatique, ce qui tendrait à montrer que les banques sont plus à même de prendre en compte le risque climatique des entreprises dans leur décision de leur octroyer un prêt, ou tout au moins qu’elles le font plus lorsque les entreprises n’ont pas d’alternative pour se financer sur les marchés obligataires.

[1] Edith Ginglinger, Quentin Moreau, “Climate risk and capital structure”, Working Paper, université Paris-Dauphine, 2019.

[2] crisforfinance.com

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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