Le rôle central du prix du pétrole
Le scénario le plus probable est que le prix du pétrole va continuer à se redresser, d’à peine plus de 25 dollars le baril en janvier 2016 à 45 dollars le baril au printemps 2016, à 60 dollars le baril environ au printemps 2017. Au prix présent du pétrole, en effet, la demande mondiale de pétrole augmente de 2 % par an environ – dont la moitié est due à la croissance en volume du monde, et l’autre moitié au bas niveau du prix du pétrole –, tandis que la production mondiale de pétrole est à peu près constante, la hausse de la production en Iran étant compensée par la baisse de la production aux Etats-Unis, et les productions dans les autres pays étant à peu près stables.
Si cette hypothèse de poursuite de la hausse du prix du pétrole est correcte, alors il faut être certain d’en tirer toutes les conséquences, sur les économies, sur les politiques monétaires, sur les marchés financiers.
Commençons par les effets de la hausse du prix du pétrole sur les économies. Ils sont assez évidents, sauf en ce qui concerne les Etats-Unis. Les pays importateurs d’énergie, qu’il s’agisse de pays de l’OCDE (zone euro, Japon) ou de pays émergents (Inde, Chine, Turquie, Afrique du Sud, pays d’Europe centrale) vont souffrir avec la hausse du coût de l’énergie importée et la hausse induite de l’inflation qui va freiner la consommation. Les pays producteurs de pétrole et de gaz naturel (pays de l’Opep, Russie, Brésil, Mexique, Chili, Colombie, Pérou, Indonésie, Afrique, Canada, Australie…) vont au contraire connaître une hausse de leurs revenus et une accélération de leur croissance. Le seul cas compliqué est alors celui des Etats-Unis, dont il faut comprendre qu’ils sont devenus un pays pétrolier. Aux Etats-Unis, la hausse du prix du pétrole a un effet positif sur le secteur de l’énergie (ses revenus, son emploi, son investissement) et sur les services liés (services pétroliers, métallurgie) qui l’emporte maintenant, avec l’apparition du gaz et du pétrole de schiste, sur l’effet négatif sur la consommation. Si on pense que le prix du pétrole va effectivement monter, il faut donc réviser à la hausse les hypothèses de croissance pour les Etats-Unis.
On peut alors passer aux politiques monétaires des pays de l’OCDE. La situation aux Etats-Unis est claire : s’il y a baisse du prix du pétrole entre 2016 et 2017, on attend aux Etats-Unis pour 2017 à la fois plus de croissance (2,5 %) et plus d’inflation (plus de 2 %). Cela va rendre très facile la prise de décisions de la Réserve fédérale : elle va monter assez rapidement ses taux directeurs, pour recréer une marge de manœuvre future pour les politiques monétaires, en profitant de cette situation. Il s’agit d’un événement important : le premier pas réel vers la normalisation de la politique monétaire aux Etats-Unis, qui n’est pas complètement anticipée aujourd’hui, avec le risque majeur qu’elle ait des effets négatifs dans les autres pays si la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis entraîne celle des taux d’intérêt du reste du monde.
La situation dans la zone euro et au Japon va être plus compliquée, avec, à la fois, si le prix du pétrole augmente, une croissance plus faible et une inflation plus forte. Il est probable que les problèmes structurels de ces deux pays (risque de divergence des taux d’intérêt entre les pays de la zone euro, avec l’absence de mobilité des capitaux entre ces pays, déformation continuelle du partage des revenus au détriment des salaires au Japon) conduiront les banques centrales à maintenir leurs politiques monétaires expansionnistes malgré la montée de l’inflation, dans la zone euro, pour maintenir la convergence des taux d’intérêt, au Japon, pour lutter contre l’inflation qui vient de la baisse des salaires.
Regardons enfin l’effet de la remontée du prix du pétrole sur les marchés financiers. Depuis l’été 2014, on observe une situation extrêmement curieuse : lorsque le prix du pétrole baisse, le dollar s’apprécie par rapport à toutes les devises (l’euro, le yen, toutes les devises des pays émergents), les cours boursiers (de l’OCDE, des pays émergents) reculent, les spreads de crédit et les primes de risques souverains s’ouvrent ; lorsque le prix du pétrole monte, on obverse toutes les évolutions inverses.
Il y a donc un seul facteur de risque, qui est le prix du pétrole, et qui détermine le niveau d’aversion pour le risque des investisseurs. Lorsque celle-ci augmente avec la baisse du prix du pétrole, les investisseurs sortent de tous les actifs risqués et achètent des dollars ; lorsqu’elle diminue avec la hausse du prix du pétrole, les investisseurs sortent du dollar et achètent tous les actifs risqués (devises, actions, obligations des entreprises, titres des émergents).
La perspective de remontée du prix du pétrole devrait donc être défavorable au dollar et favorable à tous les actifs financiers risqués, mais le problème est qu’une partie des corrélations entre le prix du pétrole et les prix des actifs est complètement irrationnelle : comme on l’a vu plus haut, la hausse du prix du pétrole est défavorable à la zone euro, au Japon, à de nombreux pays émergents importateurs d’énergie, et elle ne devrait pas pousser à la hausse les prix des actifs de ces pays. Probablement, dans le futur, un certain nombre des corrélations entre le prix du pétrole et les prix des actifs vont disparaître, et il ne restera que les corrélations robustes. Parmi celles-ci, il y a celle entre le prix du pétrole et le taux de change dollar-euro : une hausse du prix du pétrole conduit légitimement à une appréciation de l’euro puisque, si le prix du pétrole est plus élevé, les pays exportateurs de pétrole, qui investissent en euros une partie de leurs surplus, et qui ont des revenus en dollars, vont vendre davantage de dollars pour acheter des euros. Il y a aussi la corrélation entre le prix du pétrole et les spreads de crédit high yield aux Etats-Unis, avec le poids important des sociétés pétrolières dans le marché obligataire high yield (25 %).
Au total, il est impressionnant de voir l’influence énorme qu’ont aujourd’hui les variations du prix du pétrole sur les économies réelles, les politiques monétaires, les taux de change, les prix de tous les actifs financiers. Se tromper sur la prévision de prix du pétrole implique de se tromper sur à peu près tout.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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