Les avantages de la flexsécurité : une comparaison du Danemark et de la France
Le Danemark a fait depuis la fin des années 1990 le choix d’un modèle économique qui allie flexsécurité (flexibilité du marché du travail mais prise en charge du risque de chômage par le gouvernement) et dynamisme économique, avec, en particulier, un fort niveau d’innovation. On peut opposer le modèle danois au modèle français, qui allie rigidité du marché du travail et faible niveau d’innovation.
Quelles sont les conséquences de la flexsécurité au Danemark ? Le principe est qu’il y a faible protection de l’emploi mais forte protection des personnes, avec aussi des contraintes incitatives fortes visant à un retour rapide à l’emploi des personnes qui entrent au chômage.
Les licenciements et embauches sont extrêmement peu régulés au Danemark, ce qui fait apparaître un taux de rotation très rapide des emplois (30 % de la population active change d’emploi tous les ans, contre 16 % en France). Le degré de protection de l’emploi est le plus faible des pays de l’OCDE au Danemark, alors qu’il se situe parmi les plus élevés en France. Mais en contrepartie, l’indemnisation du chômage est très forte (90 % du salaire antérieur pendant deux ans), alors qu’elle est de 57 % du salaire antérieur en France, avec un plafond. Pour éviter que les chômeurs au Danemark restent trop longtemps dans cette situation en raison du caractère généreux de l’indemnisation, des règles strictes s’appliquent : une personne entrant au chômage doit prendre un rendez-vous avec l’assurance-chômage au plus tard deux semaines après son entrée au chômage ; elle est contrainte d’envoyer au minimum deux lettres de motivation par semaine et ne peut prendre des vacances qu’avec une autorisation du service public de l’emploi ; elle perd ses indemnisations si elle refuse un travail qui correspond à sa qualification même s’il en résulte une perte de rémunération, et, après un an de chômage, elle doit accepter tout travail qui lui est proposé dans l’ensemble du pays. Il résulte de ces règles une durée moyenne du chômage courte au Danemark (cinq mois, contre près d’un an en France), un taux de chômage bas (2,6 % au Danemark, contre 7,3 % en France) et un taux d’emploi très élevé (80,5 % au Danemark, contre 69 % en France). Le niveau élevé du taux d’emploi résulte aussi d’un âge légal de la retraite élevé (67 ans, qui va évoluer dans le futur vers 69 ans), ce qui a maintenu les dépenses de pension à un niveau raisonnable (12,8 % du PIB, contre 14,9 % en France) malgré le niveau élevé des retraites (dont une partie est gérée en capitalisation). De plus, la formation des chômeurs est prise très au sérieux, ce que montre la taille des dépenses de formation dispensées aux chômeurs : 0,9 % du PIB au Danemark, contre 0,2 % en France.
«Le degré de protection de l’emploi est le plus faible des pays de l’OCDE au Danemark, alors qu’il se situe parmi les plus élevés en France. Mais en contrepartie, l’indemnisation du chômage est très forte.»
La forte rotation sur le marché du travail, l’importance donnée à la formation et le niveau élevé des dépenses de recherche et développement (2,9 % du PIB, contre 2,2 % en France) contribuent au dynamisme de l’économie danoise. Les emplois se réallouent naturellement vers les entreprises les plus modernes, ce qui explique le grand nombre de champions européens localisés au Danemark : Novo Nordisk (pharmacie), Maersk (transport maritime), Bang & Olufsen (son), Danfoss (climatisation), Vestas (éoliennes), Velux (fenêtres), Lego (jouets).
Au total, la question immédiate qui vient à l’esprit est la suivante : pourquoi la France n’adopte-t-elle pas le modèle de flexsécurité danois ? Certains analystes mettent en avant qu’il est acceptable dans un pays protestant, qui a le goût de l’effort et où la population accepte les règles et les contraintes, et pas dans un pays de culture majoritaire catholique. Quelles que soient les raisons du rejet du modèle danois par les Français, on peut le regretter d’un point de vue économique pur. Si la France avait le taux d’emploi du Danemark (80,5 % contre 69 %), le niveau de l’emploi y serait supérieur de 16,7 %, le niveau du PIB d’au moins 11 % et les recettes fiscales de 5,3 points de PIB, ce qui ferait disparaître tout problème de finances publiques. Mais il est très improbable que la pression sociale imposée en particulier aux chômeurs au Danemark soit acceptable en France. Il est aussi très improbable que la France bascule d’un système où la protection de l’emploi est prioritaire à un système où la protection de la personne et de son capital humain le soit.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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