Recherche
Les entreprises plus responsables sont-elles moins innovantes ?
L’attention portée aux critères ESG semble, a priori, constituer un frein à la croissance et à l’innovation des entreprises. En réalité, il n’en est rien. A court et à long terme, l’innovation est stimulée par les politiques responsables des entreprises.
Les travaux de recherche universitaire en finance portant sur les facteurs extra-financiers se multiplient. A la toute récente conférence de l’Association française de finance qui s’est tenue à Bordeaux début juin, les thèmes de « la finance responsable » ont dominé tous les autres thèmes en nombre d’articles présentés. Parmi les résultats exposés, plusieurs études ont essayé de trancher le débat, existant dans la littérature, sur les impacts potentiellement négatifs d’une trop grande attention portée par les entreprises aux critères ESG, au détriment des facteurs financiers traditionnels. En particulier, est-ce qu’à être trop « responsables » les entreprises ne deviendraient pas moins innovantes ?
Dans leur article intitulé « Not all “doing good” become “doing well”: divergent channels of ESG impact on corporate innovation1 », quatre chercheurs chinois et canadiens s’intéressent aux performances ESG et à l’innovation des entreprises américaines cotées en Bourse, entre 2002 et 2020. Ils s’appuient sur les ratings de Refinitiv et de MSCI pour les performances ESG et sur les dépôts de brevets pour l’innovation, sur un échantillon de plus de 350 entreprises. Conscients de la faible corrélation entre les scores de différents fournisseurs, les chercheurs utilisent la technique statistique des composantes principales pour se focaliser sur les éléments communs à plusieurs fournisseurs.
Les résultats, sur cette période et aux Etats-Unis, sont sans équivoque : à court et à long terme, l’innovation est stimulée par les politiques responsables des entreprises. Ce sont d’ailleurs davantage les facteurs environnementaux qui influencent l’innovation et, en particulier, la composante émission dans le score environnemental des agences de notation. Les aspects sociaux ont également une influence positive et significative alors que la gouvernance, qui a aussi un effet positif, n’est toutefois pas significative.
Une capacité d’innovation liée au budget de R&D et à la taille de l’entreprise
D’autres facteurs influencent positivement l’innovation des entreprises : le budget recherche et développement vient évidemment en tête, mais aussi la taille de l’entreprise. En revanche, l’âge de l’entreprise pèse en moyenne négativement sur sa capacité d’innovation, tout comme la rentabilité des actifs ou l’effet de levier. Les effets des politiques financières et extra-financières des entreprises sont donc parfois contradictoires et les excès d’attention sur une variable peuvent avoir des effets secondaires indésirables sur d’autres. Il semble donc bien, sur des données d’entreprises américaines dont les scores ESG moyens sur cette période à 0,40 sont légèrement inférieurs à la moyenne mondiale de 0,42, qu’une politique d’entreprise responsable à des effets positifs sur sa performance de long terme, notamment grâce à l’innovation. Il apparaît sur une période d’une vingtaine d’années, particulièrement chahutée et empreinte de dérives fortes, que les coûts budgétaires, liés aux politiques responsables, ne se sont pas faits au détriment de la recherche. N’est-ce pas là un signe de bonne gouvernance, domaine auquel les entreprises américaines se sont très tôt intéressées et ont trouvé de bonnes pratiques ? C’est peut-être la raison pour laquelle la gouvernance ne semble pas être le critère extra-financier le plus déterminant en matière d’impact sur l’innovation.
Cette étude, parmi tant d’autres, s’intéresse aux données américaines, souvent plus aisément disponibles et faisant malheureusement l’objet de plus d’intérêt de la part des revues académiques. Il nous serait particulièrement utile d’élargir ces travaux à l’Europe. Le critère d’innovation retenu par les chercheurs est également un peu limitatif et concentre l’étude sur les process et les produits. Or, l’innovation peut aussi concerner les politiques commerciales, les relations humaines et bien d’autres domaines. Au fil des études présentées, il apparaît néanmoins que les gestions d’entreprises orientées sur le long terme s’avèrent les plus responsables et souvent les plus efficaces. n
1. « Not all “doing good” become “doing well”: divergent channels of ESG impact on corporate innovation », Sen Zhang, Ya Gao, Jin Wen et Xiazhou Zhou, Congrès de l’AFFI Bordeaux, juin 2023.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
Du même auteur
De l’intérêt du non-coté
Le non-coté a le vent en poupe, mais la recherche commence à peine s’y intéresser. Elle cherche à…
Les social bonds sont-ils plus chers que les autres ?
Le segment obligataire des social bonds, qui financent des projets à vocation sociale, dans la santé…
La « Blended Finance » est-elle responsable ?
La « Blended Finance » ou finance mixte, mêlant capitaux publics et privés, se développe dans les…