
Les promesses déçues de la mondialisation
Engagée au lendemain de la chute de l’Union soviétique au début des années 1990, accélérée par l’entrée de la Chine dans l’OMC une décennie plus tard, la mondialisation des échanges commerciaux, dans l’histoire contemporaine, portait deux promesses. L’une politique, l’autre économique.
La promesse politique se fondait sur les vertus du « doux commerce » vantées par Montesquieu – « Wandel durch Handel » (« le changement par le commerce ») dans sa version allemande, deux siècles plus tard. L’intensification des échanges marchands contribuerait à rapprocher les pays et les peuples, liés entre eux par des intérêts économiques communs. En outre, une certaine « affinité élective », au sens webérien, entre libre-échange et libertés politiques laissait espérer une généralisation graduelle et mondiale de la forme démocratique. Selon certains, la conjonction du pluralisme politique et de l’ouverture commerciale devait même sceller la victoire définitive de la démocratie libérale sur les autres formes de régimes et d’idéologies.
On sait désormais que cette promesse politique, sous son double aspect, ne sera pas tenue. D’une part, la décennie 2020 est marquée par le retour de tensions géopolitiques majeures, organisées selon des lignes de fracture à la fois est/ouest et nord/sud. D’autre part, l’exemple chinois est venu affirmer avec force la compatibilité possible entre autoritarisme et capitalisme. Bref, le doux commerce n’a permis d’éviter ni les guerres ni le maintien ou l’émergence de régimes autoritaires. En outre, une certaine paupérisation des classes populaires et des classes moyennes dans les pays avancés a fragilisé l’assise sociale sur laquelle repose toute démocratie.
«La part des échanges commerciaux dans la richesse mondiale a cessé de progresser depuis une quinzaine d’années, autour de 30 % du PIB mondial.»
La seconde promesse de la mondialisation était économique. Elle faisait valoir que l’intensification des échanges commerciaux créerait une dynamique d’interdépendance auto-entretenue qui, sauf catastrophe majeure, n’autoriserait aucun retour en arrière. En s’adaptant constamment au contexte, mais toujours selon la logique ricardienne des avantages comparatifs, les chaînes de valeur continueraient d’être pensées et de se déployer à l’échelle mondiale. Les exigences de rentabilité du capital, le renforcement des multinationales et la création ou l’élargissement progressif de grandes zones commerciales rendraient hautement improbable un retour en arrière.
Sans avoir été démentie, cette seconde promesse est aujourd’hui plus incertaine. La part des échanges commerciaux dans la richesse mondiale a cessé de progresser depuis une quinzaine d’années, autour de 30 % du PIB mondial, à la faveur de la grande crise financière et du rééquilibrage du modèle de croissance chinois. Des premiers signes de fragmentation des flux – physiques et financiers – commencent également à s’observer. C’est bien sûr le cas de l’énergie, avec la déconnexion de la Russie du versant occidental de la mondialisation, mais aussi des biens manufacturés, avec la multiplication des mesures de restrictions d’exportations et la hausse des tarifs douaniers. C’est aussi le cas des flux de capitaux, qu’il s’agisse d’investissements de portefeuille ou d’investissements directs à l’étranger. Bref, s’il est pour l’heure excessif de parler de démondialisation, celle-ci est bel et bien en phase de mutation.
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