Zone de turbulences en vue ?

Publié le 21 juin 2024 à 13h00

Jean-Christophe Caffet    Temps de lecture 4 minutes

L’année 2024 a plutôt bien commencé, bien mieux que n’avaient débuté les deux derniers exercices, inaugurés par les derniers soubresauts de la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie (2022), ou marqué par des craintes de pénurie d’énergie en Europe et une crise bancaire aux Etats-Unis (2023).

Les chiffres du premier trimestre 2024 sont en effet globalement satisfaisants, sinon rassurants. Alors que l’activité ralentit enfin aux Etats-Unis, en ligne avec le scénario très (trop ?) consensuel d’atterrissage en douceur de la première économie mondiale, les pays émergents, en Asie notamment, assurent désormais le rôle de moteur relais d’une économie mondiale toujours convalescente, à l’image de l’Europe qui semble, enfin, sortir de sa léthargie. Les dernières données dures et les enquêtes de conjoncture publiées ces dernières semaines suggèrent que cette dynamique est toujours à l’œuvre à l’heure où nous écrivons ces lignes, et se traduit par un rebond sensible des échanges internationaux. Alors qu’une certaine euphorie continue de régner sur les marchés financiers (actions notamment), entretenue par un narratif sur des gains de productivité à long terme qui restent dans une large mesure à démontrer (IA), et que d’aucuns voient dans le cycle d’assouplissement monétaire qui ne fait (a priori) que commencer les prémisses d’un nouveau cycle haussier – de quoi nourrir, en effet, un optimisme effréné… – il paraît utile de rappeler quelques évidences.

«Le principal risque baissier endogène à horizon 18 mois réside toujours dans le maintien de conditions financières nettement plus restrictives qu’au cours des 15 dernières années.»

Tout d’abord, et au-delà des quelques valeurs phares souvent citées (les « 7 Magnifiques1 », qui ne sont désormais plus que 4…), la bonne tenue des marchés, en particulier aux Etats-Unis, ne s’explique pas (ou plus) uniquement par des bonnes nouvelles. De mauvaises « surprises » statistiques en sont de plus en plus souvent la justification, signe que la politique monétaire commence à produire ses effets et que demeure une très forte addiction à la (sur)liquidité. C’est dans ce sens qu’il faut lire les appels répétés à un assouplissement monétaire précoce, afin que le diagnostic désormais consensuel de taux d’intérêt « plus élevés plus longtemps » ne dégénère en un verdict « trop élevés trop longtemps » nuisible à bien des égards – pas uniquement aux valorisations. Compte tenu des niveaux d’endettement public et privé, le principal risque baissier (endogène) sur notre scénario macroéconomique à horizon 18 mois réside toujours dans le maintien de conditions financières nettement plus restrictives qu’au cours des 15 dernières années. Les entreprises qui ont pu sécuriser, jusqu’à récemment, des financements à des conditions extrêmement avantageuses et qui doivent désormais procéder à leur remboursement et/ou refinancement dans un tout autre environnement sont les premières touchées. Alors que le processus de désinflation semble avoir calé dans de nombreuses zones monétaires et que pointent de nouvelles tensions sur les chaînes de valeur (délais d’approvisionnement, taux de fret, sanctions, tarifs douaniers, etc.) et les prix des matières premières (produits agricoles, métaux, etc.), rien ne garantit un assouplissement significatif, et à temps, des conditions financières. Tout suggère, au contraire, que les défaillances d’entreprises, en nette progression ces derniers mois – à la fois en fréquence et en taille (créances et emplois concernés) – continuent d’augmenter au cours des prochains trimestres, sinon des prochaines années.

A cela s’ajoutent les risques (exogènes) déjà maintes fois soulignés dans ces colonnes et relatifs aux équilibres sociaux et politiques toujours précaires, pour ne pas dire hautement inflammables. Sans attendre le verdict des élections américaines de novembre, la dissolution de l’Assemblée nationale décidée à l’issue des élections européennes par le président français pourrait à cet égard constituer un tournant pour le pays mais également pour la gouvernance du Vieux Continent – dès cet été.

1. Tesla, Nvidia, Apple, Microsoft, Alphabet, Meta, Amazon.

Jean-Christophe Caffet Chef économiste ,  Coface

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