L’inclusion financière des femmes

Publié le 17 mai 2023 à 19h29

Marie-Aude Laguna    Temps de lecture 4 minutes

L’actualité récente sur les retraites renouvelle le débat sur l’indépendance financière des femmes, avant tout permise par leur entrée massive sur le marché de l’emploi au XXe siècle. Les interruptions de carrière comme le recours au temps partiel ne suffisent pas à expliquer les écarts de pensions de retraite entre hommes et femmes, de l’ordre de 30 % à 40 %. En pratique, les femmes sont défavorisées au moment des successions et héritent d’un patrimoine de moindre valeur (voir Bessière et Gollac, Le Genre du capital). En outre, elles épargnent moins que leurs homologues masculins et investissent moins sur les marchés boursiers, un placement pourtant plus rentable à long terme. Comment expliquer de tels écarts ?

Selon plusieurs études scientifiques, deux facteurs sont essentiels à l’investissement sur les marchés et à la diversification boursière : la confiance et la culture financière des individus. Qu’en est-il de la culture financière des femmes ? En réponse à trois questions centrales portant sur les intérêts composés, l’inflation et le risque, nul doute, quel que soit le pays considéré, le taux d’erreurs est en moyenne plus important chez les femmes. Par exemple, en Allemagne, elles sont 50 % à répondre juste aux trois questions, contre 60 % chez les hommes. Dans d’autres pays comme les Etats-Unis ou les Pays-Bas, l’écart est plus prononcé et de l’ordre de 20 %.

Facteur aggravant, les femmes doutent davantage de leurs compétences financières : dans ces mêmes pays, 40 % des femmes mariées répondent « je ne sais pas » à au moins une question financière, contre 28 % des hommes mariés. Bucher-Koenen, Lusardi, Alessie, et van Rooij (« Fearless Woman : Financial Literacy and Stock Market Participation », 2021) utilisent un protocole original afin de démontrer que l’inculture financière des femmes est largement surestimée. Ainsi, en obligeant les individus à répondre lors d’une deuxième phase d’enquête, ils estiment qu’un tiers de l’écart de genre serait en fait imputable à une sous-estimation de leurs connaissances financières par les femmes elles-mêmes.

Quelles sont les implications financières de tels stéréotypes de genre ? A partir de données d’enquêtes réalisées par la Banque d’Italie, Guiso et Zaccaria (« Gender equality and household finance », 2023) constatent qu’au sein des ménages italiens, le pourcentage de femmes décisionnaires croît à partir des années 1990 : elles étaient 10 % à décider des finances du couple en 1990, contre 30 % depuis la crise de 2008.

Fait cocasse au regard de l’actualité française, ce changement a été rendu possible grâce à une réforme des pensions de retraite particulièrement défavorable, obligeant les familles italiennes à réviser entièrement leur planification financière, au profit des femmes. Aussi, si l’exclusion des femmes était bien imputable à des stéréotypes de genre, les décisions prises par les ménages auraient dû s’en trouver améliorées à la suite de la réforme.

Pour répondre à cette question, les auteurs isolent les cohortes et les régions les plus affectées par la réforme pour des raisons structurelles. Ils montrent alors que ce sont ces mêmes cohortes/régions qui augmentent le pourcentage de femmes décisionnaires à partir des années 1990. En outre, les ménages où les femmes sont désormais décisionnaires ont plus de chances de réaliser des investissements boursiers et de diversifier leurs portefeuilles, indépendamment d’autres facteurs comme le revenu de chaque conjoint ou leurs diplômes.

Qu’en est-il à l’échelle internationale ? Da Ke, dans l’article « Cross-Country Differences in Household Stock Market Participation : The Role of Gender Norms » (2018), démontre qu’il existe une forte corrélation négative entre le taux de participation sur les marchés boursiers et les stéréotypes de genre. Pour mesurer les normes de genre, il utilise les enquêtes du World Values Survey. En Italie, Grèce et Autriche, près de 30 % des enquêtés sont d’accord avec l’assertion que les hommes devraient avoir la priorité sur les femmes en matière d’emploi en cas de récession. Or ces pays se caractérisent par un taux d’investissement boursier plus faible que la moyenne, indépendamment d’autres facteurs cruciaux comme la richesse ou les normes culturelles du pays. Dans les pays scandinaves, seuls 5 % des enquêtés sont d’accord avec une telle assertion (avec un taux de participation sur les marchés boursiers parmi les plus élevés) alors que la France et l’Allemagne se situent dans la moyenne des pays développés. Dans l’ensemble, les études scientifiques les plus récentes suggèrent donc bien qu’un rééquilibrage des décisions financières en faveur des femmes bénéficierait à tous et à toutes.

Marie-Aude Laguna Maître de conférence ,  Université Paris-Dauphine

Marie-Aude Laguna est maître de conférence à l'Université Paris-Dauphine

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